Avant d’entrer dans le vif du sujet, un petit aparté technique s’impose : connaissez-vous la distinction entre “Filmed for IMAX” et “Shot with IMAX”, que l’on voit souvent sur les affiches ou dans les bandes-annonces ? Cette nuance, bien que subtile dans la formulation, est fondamentale. Filmed for IMAX désigne des œuvres optimisées pour le format, pensées pour en exploiter les capacités immersives via des caméras numériques. À l’inverse, Shot with IMAX signifie que le film a été tourné à l’aide de caméras IMAX 70 mm, lourdes, complexes, mais offrant une qualité d’image inégalée. Seuls quelques cinéastes comme Christopher Nolan osent cette prouesse technique, et son prochain film, The Odyssey, sera d’ailleurs le premier tourné intégralement avec ces caméras IMAX. En ce qui concerne F1, précisons que, bien qu’aucune caméra IMAX n’ait été utilisée, le film a été intégralement conçu pour sublimer ce format. Et le résultat est, disons-le, impressionnant.
SIM-MERSION
Immersion est d’ailleurs le maître-mot de cette nouvelle réalisation signée Joseph Kosinski, à qui l’on doit déjà le spectaculaire Top Gun: Maverick (2022), véritable raz-de-marée au box-office (1,5 milliard de dollars). Avec F1, Kosinski troque les chasseurs F-18 pour des bolides hurlants à 300 km/h, dans une superproduction de 200 millions de dollars portée par un Brad Pitt incandescent. À 61 ans, l’acteur conserve une prestance hors norme, qu’il médite dans son van, qu’il déambule en jogging négligé ou qu’il avale l’asphalte à pleine vitesse, il dégage un charisme intemporel, presque insolent. Il campe ici Sonny Hayes, pilote légendaire sur le retour, figure romanesque hantée par un passé douloureux, appelé à la rescousse pour sauver l’écurie fictive APX GP. Le schéma narratif est assez classique voire éreinté : le vétéran en quête de rédemption, le jeune prodige à apprivoiser, le mentor fantasque à ménager. Rien de nouveau sous le soleil, certes, mais entre les mains de Kosinski, tout cela prend forme avec une efficacité redoutable. L’homme maîtrise l’art du grand spectacle, et cela se voit. Dès les premières séquences, F1 impose une intensité rarement atteinte dans un film centré sur la course automobile. Même les plus réfractaires à la Formule 1 y trouveront leur compte, tant l’immersion sensorielle est totale : caméras embarquées, gyroscopes, rugissements des moteurs propulsés par un mixage Dolby Atmos étourdissant... On vit littéralement la course. Pendant 2h35, le film ne lâche rien.
BRAD : LE MÂLE
Et Brad Pitt dans tout cela ? Il brille, évidemment. Le film est une véritable célébration de son aura : chaque scène le met en valeur, chaque plan semble pensé pour sublimer sa silhouette, son regard, sa gestuelle. Il y a un petit côté pub Dior Sauvage, certes, parfois poussé à l’extrême, mais qui fonctionne grâce à son implication manifeste. Comme Tom Cruise, il cherche ici à se réinventer, à rappeler qu’il est toujours de la partie. Le marketing a beaucoup insisté sur le fait que l’acteur pilote lui-même les bolides – et même si les images concrètes se font rares, on ne doute pas qu’il a, à tout le moins, joué le jeu lors des scènes les plus sûres. Il n’est pas Tom Cruise, et ce n’est pas un reproche. L’essentiel est que l’illusion fonctionne à merveille.
Autrement, avec F1, on retrouve le sens du cadrage chirurgical de Joseph Kosinski, qui a su imposer son style depuis son premier film Tron Legacy et ensuite Oblivion. Sa mise en scène ultra travaillée est d’ailleurs sublimée par des mini-caméras embarquées qui captent chaque virage, chaque vibreur, chaque tête-à-queue. Ce sont les mêmes caméras qui avaient été utilisées dans Top Gun Maverick pour filmer les acteurs à l’intérieur des cockpits, sauf que cette fois-ci, le matériel a évolué, les caméras sont plus petites, mais leur qualité a augmenté. Kosinski a travaillé étroitement avec Sony pour les faire fabriquer et ça se ressent à l’écran. Les scènes de course sont d’une intensité rarement atteinte au cinéma, avec surtout une réalisation nerveuse et toujours lisible. Vraiment, visuellement, F1 est une claque et si jamais vous avez l’occasion d’aller le voir en IMAX, c’est l’expérience ultime, croyez-moi.
VITESSE IVRESSE
Si F1 réussit son pari sur le plan technique et visuel, le film risque de faire grincer des dents les experts de la Formule 1, tout simplement parce que le film enchaîne les invraisemblances de certaines situations. Même moi qui suis un novice en la matière, j’ai bien compris que les stratagèmes employés par l’équipe de Sonny Hayes pour gratter des places ne tenaient pas la route, avec cette surdose de dégâts volontaires pour faire sortir les safety cars et l’abus de pneus durs ou tendres. Et puis ce passage où Sonny Hayes, qui n’a pas couru depuis 20 ans en Formule 1, débarque comme ça, dompte une voiture en un tour training, comprend les problèmes techniques et fait refaire tout le set-up technique, on frise évidemment l’absurde. C'est le fameux : "C'est magique, tais-toi !" Et puis, le film accumule aussi les poncifs, parfois avec talent, parfois avec lourdeur, avec cette rivalité intergénérationnelle, cette romance qui arrive avec des gros sabots, le héros hanté par un drame passé (petit clin d’œil d’ailleurs à Ayrton Senna et à l’accident de Martin Donnelly et sa Lotus coupée en deux, dont le film reprend des images d’archives pour se les approprier), tout est là pour cocher les cases du blockbuster efficace. Mais quand on gratte sous le vernis, F1 laisse transparaître une superficialité typiquement hollywoodienne, mais on va pas se mentir non plus, on n’est pas là pour voir un documentaire, mais plutôt un spectacle avec sensations, émotions et shot d’adrénaline. Et là, le contrat, il est plus que rempli.
D’ailleurs, si les experts de la Formule 1 vont pester, ils vont sans doute apprécier les quelques clins d’œil bien sentis au monde de la Formule 1 avec la présence de pilotes dans le film comme Frédéric Vasseur, Zak Brown, Toto Wolff et bien sûr Lewis Hamilton qui co-produit le film. Perso, j’aurais pensé qu’on le verrait plus que ça, mais finalement, c’est juste quelques passages éclairs. Donc oui, F1 est un divertissement explosif, qui arrache la rétine et les tympans. C’est du cinéma popcorn, assumé, qui ne cache pas son envie de séduire un public large, au détriment de la subtilité. Joseph Kosinski filme la F1 comme un sport de gladiateurs, et son film est un roller-coaster de 2h35, calibré pour plaire à tout le monde et c’est tant mieux. Les néophytes y verront un grand film d’action, les fans hardcore de la F1 grinceront des dents devant les libertés prises. La bande-son de Hans Zimmer fait ronfler les moteurs, Brad Pitt est en feu, et on en sort pleinement satisfait.
CONCLUSION : 8/10
F1 fera sans doute lever les yeux au ciel les experts de la Formule 1 tant il abuse sur certains séquences absurdes et quelque poncifs narratifs aussi, mais il réussit pleinement ce qu’il entreprend : offrir une expérience immersive, spectaculaire, pensée pour le grand écran, et plus encore pour l’IMAX. On pourra tiquer sur certains raccourcis scénaristiques ou sur les libertés prises avec la réalité du sport automobile, mais difficile de bouder son plaisir devant un film aussi généreux, techniquement maîtrisé et porté par un Brad Pitt charismatique à souhait. Joseph Kosinski signe un divertissement XXL, qui assume son côté grand public tout en imposant une vraie patte visuelle. Ouais, c'est un peu le Top Gun Maverick de la Formule 1. Et rien que pour ça, on va au cinéma.