S’il y a bien une personne à saluer pour le succès incontestable de cette nouvelle adaptation des 4 Fantastiques, c’est sans aucun doute Matt Shakman, son réalisateur. Il s’impose aujourd’hui comme l’une des meilleures recrues de Marvel Studios de ces cinq dernières années. Fort d’une expérience de plus de deux décennies dans le monde de la télévision, Shakman a signé la réalisation d’épisodes pour des séries prestigieuses telles que Succession, Mad Men, Six Feet Under, The Boys, Dr House, Fargo ou encore Philadelphia, dont il est également producteur exécutif. On lui doit également la remarquable WandaVision, qui demeure, à ce jour, la série télévisée la plus réussie du MCU. L’une des premières décisions créatives marquantes de son adaptation des 4 Fantastiques a été de reprendre l’esthétique soignée de WandaVision, laquelle s’inspirait des codes visuels des sitcoms des années 1950 - jusqu’à utiliser, pour rappel, le format 4:3 dans son premier épisode. Dans le cas présent, le film nous plonge dans l’univers des années 1960, avec une approche rétro-futuriste assumée. Ce choix stylistique n’est pas qu’une simple coquetterie, il est intimement lié à l’intrigue, à la narration et à la manière dont le récit s’inscrit dans le Marvel Cinematic Universe. Par ailleurs, il est important de souligner que le film a été conçu comme une œuvre autonome. Il n’est nullement nécessaire d’avoir vu les précédents films ou séries du MCU pour en apprécier pleinement le contenu. Si vous hésitez à vous rendre en salle par crainte de ne pas "tout comprendre", soyez rassurés : cette nouvelle version des 4 Fantastiques fonctionne indépendamment des 20 années de productions précédentes. La seule véritable connexion avec le reste de l’univers se dévoile dans la scène post-générique…
A NEW HOPE ?
Parmi les choix les plus audacieux de cette nouvelle adaptation des 4 Fantastiques, on retiendra notamment la décision assumée de faire l’impasse sur la traditionnelle origin story. Le spectateur est ainsi immergé d’emblée dans un univers déjà établi, où les Fantastic Four sont une équipe reconnue, admirée et pleinement intégrée à leur monde. Lorsque le film débute, quatre années se sont écoulées depuis que nos quatre astronautes ont acquis leurs pouvoirs. Ils évoluent désormais en tant que gardiens de la Terre-828 (un hommage à Jack Kirby), une réalité parallèle à celle du MCU principal. Ce positionnement narratif permet un renversement intéressant : loin d’être des figures émergentes que l’on découvre, ils sont ici des héros célébrés. Cette reconnaissance publique offre au film un avantage certain en termes de world-building, en évitant les longues séquences d’exposition. Le récit démarre ainsi sur des bases solides et prend seulement une dizaine de minutes pour résumer les événements passés et rappeler la nature de leurs capacités, à travers un montage dynamique et intelligemment construit.
Ce passage introductif évoque d’ailleurs l’esprit du film d’animation Les Indestructibles, tant par son rythme que par la manière de présenter les personnages. L’apparition du Mole-Man (ou Homme-Taupe), clin d’œil évident aux comics originaux, rappelle également le personnage du Démolisseur. Et s’il est vrai que Les Indestructibles puisent largement leur inspiration dans les bandes dessinées des 4 Fantastiques, il est amusant de constater à quel point ces deux œuvres semblent aujourd’hui se faire écho, l’une prolongeant l’héritage de l’autre dans une forme de jeu de miroirs cinématographique.
RÉTRO-RÉUSSITE
Mais comme mentionné précédemment, le film adopte une esthétique rétro-futuriste des années 1960, l’un de ses choix les plus audacieux, et incontestablement l’une de ses plus grandes réussites. Il dépeint un monde technologiquement avancé, mais dont le design puise pleinement dans l’imaginaire des sixties : une époque empreinte d’un optimisme presque utopique. Voitures volantes, technologie futuriste, architecture stylisée du Baxter Building, chaque élément visuel semble issu d’une Amérique idéalisée, où le progrès inspire plus qu’il n’inquiète. Le résultat est d’une grande cohérence artistique et offre un véritable plaisir visuel. Ce soin apporté au décor va bien au-delà de la simple direction artistique, puisque Marvel Studios a en effet fait le choix de reconstruire de nombreux décors "en dur", c’est-à-dire physiquement sur les plateaux, ce qui apporte une dimension tangible à l’univers du film. Qu’il s’agisse des différentes pièces du Baxter Building, de la Fantasti-Car, de la salle de conférence des Nations Unies (gardez un œil attentif sur cette scène, une référence bien dissimulée y est glissée), ou même du Times Square de cette Terre parallèle (la Terre-828), ces environnements ont été conçus en pratique, et cela se ressent immédiatement à l’écran.
Naturellement, les effets spéciaux numériques sont également nombreux, on reste dans une superproduction Marvel, et une partie de l’intrigue se déroule dans l’espace, notamment lors de l’affrontement contre Galactus. Mais le film parvient à maintenir une unité visuelle forte, où les effets numériques s’intègrent harmonieusement aux décors physiques. Cette esthétique 60’s assumée permet également au film de faire des choix audacieux en matière de costumes, avec des tenues résolument rétro, en clin d’œil non seulement aux premières apparitions des Fantastic Four dans les comics, mais aussi au mystérieux film de 1994, jamais sorti en salles, mais visible aujourd’hui sur YouTube. Les plus attentifs noteront d’ailleurs un caméo discret des acteurs de cette version oubliée : ils apparaîtraient brièvement dans une scène de remerciement adressée aux héros, un joli clin d’œil à l’histoire mouvementée de la franchise. Enfin, là où le dernier Superman avait été salué pour sa palette visuelle colorée et son approche assumée du langage comic-book, il échouait néanmoins à convaincre sur le plan du world-building et de la narration. À l’inverse, ce nouvel opus des 4 Fantastiques excelle sur ces deux fronts, en proposant un univers riche, cohérent, et visuellement éclatant, sans jamais sacrifier la clarté du récit.
LA FAMILIA
Pour ancrer cette nouvelle adaptation dans quelque chose de plus profond et universel, Matt Shakman a choisi de recentrer le récit autour d’un thème fondamental : la famille. Un choix d’autant plus pertinent que Marvel Studios a largement communiqué sur cette idée, présentant ce reboot des 4 Fantastiques comme celui de la « première famille du MCU ». Et il faut reconnaître qu’ils ont vu juste. Dès les premières minutes, le film adopte une perspective résolument intimiste, en nous plongeant au cœur de la cellule familiale formée par Reed, Sue, Johnny et Ben. Le spectateur découvre non seulement leurs liens affectifs, mais aussi leurs rituels, leurs conflits, leurs vulnérabilités — en un mot, leur humanité. Et c’est sans doute là que réside la plus grande réussite du film : là où tant d’adaptations de super-héros échouent à rendre crédible la dynamique émotionnelle d’un groupe, cette version des 4 Fantastiques excelle grâce à une écriture subtile et un casting remarquablement juste.
Ben et Johnny se lancent dans des chamailleries pleines de naturel et de tendresse cachée ; Sue incarne l’équilibre, la maturité et la lucidité émotionnelle du groupe ; tandis que Reed oscille entre son génie analytique et une fragilité affective touchante. À travers ces personnages, ce n’est pas simplement une équipe de super-héros que l’on suit, mais une véritable famille, avec ses élans de tendresse, ses tensions, ses doutes et ses attachements indéfectibles. Ce sentiment est d’autant plus fort que les quatre acteurs dégagent une alchimie sincère et spontanée à l’écran, consolidant l’authenticité des liens familiaux qui les unissent. Le film prend le temps de poser des scènes clés et de faire résonner des phrases lourdes de sens qui ponctuent des moments dramatiquement forts, ancrant davantage encore la narration dans les relations humaines, au-delà des enjeux cosmiques.
L'INTIME AU MILIEU DU SPECTACLE
Si les bandes-annonces laissaient entrevoir une tonalité résolument positive, centrée sur l’aventure et la cohésion du groupe, le film ne se prive pas pour autant d’explorer des zones d’ombre plus intimes, en particulier à travers les tensions familiales qui surgissent entre Reed Richards et Sue Storm, suite à la naissance de leur fils, Franklin. C’est un choix scénaristique auquel on ne s’attendait pas nécessairement, mais qui s’avère particulièrement juste et touchant. Il trouve un écho immédiat dans la réalité de nombreux spectateurs, notamment ceux qui sont eux-mêmes parents. Bien sûr, les raisons de leur conflit s’inscrivent dans un contexte narratif propre à l’univers du film, loin de nos préoccupations quotidiennes, mais la dimension émotionnelle qui s’en dégage renvoie à quelque chose de profondément humain, presque universel.
Ces scènes de friction, habilement mises en scène, rappellent que même les super-héros ne sont pas exempts des fragilités de la vie de famille. C’est précisément dans cette humanisation des personnages que le film puise une part de sa force : il dépasse le cadre de l’aventure spectaculaire pour nous offrir un reflet sensible de nos propres dilemmes et émotions. À noter, par ailleurs, que certaines séquences aperçues dans les bandes-annonces ont été coupées au montage final. C’est le cas, par exemple, de la scène du dîner familial du dimanche à 19h précises, qui avait pourtant été mise en avant dans la promotion, ou encore du personnage incarné par John Malkovich, finalement retiré du montage définitif. Sans doute ces choix ont-ils été faits pour des questions de rythme narratif, et très honnêtement, leur absence ne nuit en rien à l’équilibre du film. Le propos reste clair, la dynamique reste forte, et l’expérience globale s’en trouve même allégée, sans pertes notables.
COSMIC WONDER
Là où le film de Matt Shakman impressionne véritablement, c’est sur le plan narratif. La maîtrise du world-building, la finesse de l’écriture des personnages, et la manière dont les enjeux dramatiques se mettent en place témoignent d’un véritable soin scénaristique. Certes, avec une durée contenue d’1h55, certaines concessions étaient inévitables, mais elles ne se font jamais au détriment du rythme, qui demeure parfaitement calibré tout au long du récit. Chaque personnage bénéficie d’un traitement soigné. Si le couple Reed Richards / Sue Storm attire naturellement l’attention, d’autres figures se distinguent avec une intensité plus subtile mais tout aussi marquante. On pense notamment à Ben Grimm, dont les instants de mélancolie et de tendresse apportent une profondeur émotionnelle rare, ou encore à Johnny Storm, dont le traitement dépasse largement les clichés habituels. Là où l’on pouvait redouter une version stéréotypée du jeune fougueux et arrogant, le film offre une véritable évolution psychologique, révélant une sensibilité insoupçonnée qui fait de lui un véritable pilier narratif.
Mais ce travail d’écriture ne se limite pas aux héros. Les antagonistes bénéficient eux aussi d’un développement soigné, en particulier la très impressionnante Shalla-Bal, version féminine du Surfeur d’Argent, qui s’impose par sa froideur tranchante et sa présence menaçante dès sa première apparition à l’écran. Loin d’être un simple artifice narratif ou une réinterprétation "woke", comme certains commentaires hâtifs ont pu le suggérer, ce choix s’inscrit dans la continuité des comics (Shalla-Bal y figure en effet en tant que personnage canonique) et trouve une justification narrative claire et pertinente dans le film lui-même. En gros, le film ne se contente pas de livrer un spectacle visuellement abouti ; il propose aussi une écriture solide, sensible et cohérente, qui place ses personnages — héros comme antagonistes — au cœur de l’expérience cinématographique.
Un mot, enfin, sur Galactus, dont la représentation à l’écran constitue l’une des grandes réussites du film. La performance vocale de Ralph Ineson, grave et habitée, y est pour beaucoup, mais c’est surtout l’incarnation visuelle du personnage qui impressionne durablement. Conçu comme un colosse de métal et de pièces disjointes, Galactus s’impose par sa présence écrasante, sa stature titanesque et la menace sourde qu’il fait peser sur l’univers. À aucun moment il n’est réduit à un simple antagoniste destructeur : il incarne un péril cosmique d’une intensité rare, et s’impose très clairement comme un successeur crédible à Thanos, dans cette nouvelle phase du Marvel Cinematic Universe que Kevin Feige tente de reconstruire. Galactus ne se contente pas d’être un obstacle scénaristique ; il est un archétype, une force de la nature, une entité dont la présence seule redéfinit l’échelle des enjeux.
Et comment ne pas conclure sans évoquer la bande originale magistrale signée Michael Giacchino ? Le compositeur livre ici un thème puissant et mémorable, destiné à marquer durablement les esprits. Chaque séquence, qu’il s’agisse de scènes d’action spectaculaires ou de moments plus intimes, bénéficie d’un accompagnement musical d’une précision remarquable, toujours au service de l’émotion et du récit. Giacchino, fidèle à son approche élégante, évite toute surcharge : il sait quand se retirer pour laisser la place au silence, à la respiration, à l’instant dramatique. Cette justesse musicale, discrète mais essentielle, confère au film une dimension supplémentaire, où la musique devient elle-même un véritable vecteur narratif.
NOTRE NOTE : 8.5/10
Avec Les 4 Fantastiques Premiers Pas, Marvel Studios réussit là où DC et Superman ont échoué : raconter une origin story lumineuse, avec des personnages suffisamment bien travaillés pour nous transporter dans leur histoire, le tout en insufflant une esthétique rétro-futuriste qui fait mouche. Mais au-delà de sa forme, c’est bien le fond qui emporte l’adhésion. En recentrant l’histoire autour de la cellule familiale, en creusant la psychologie de ses héros comme de ses antagonistes, en laissant une vraie place aux silences, à l’émotion, aux failles humaines, Les 4 Fantastiques explore également la part d'humanité de nos “super-héros”. Une approche renforcée par un casting en parfaite osmose, une mise en scène efficace et une bande originale mémorable signée Michael Giacchino. Que demander de plus ?