En quinze ans, Avatar est devenu bien plus qu’une franchise cinématographique : c’est un monde total, une fresque sensorielle et spirituelle façonnée par James Cameron avec la rigueur de ce cinéaste qui a acquis ses lettres de noblesse il y a bien longtemps et dont chaque oeuvre essaie de pousser le cinéma dans ses derniers retranchements. Mais malgré sa maîtrise technique et ses ambitions thématiques, la saga n’a pas échappé à une critique récurrente : celle de son idéalisme naïf, presque dogmatique, sur la nature et la spiritualité. Avec Fire and Ash (de Feu et de Cendres en VF), James Cameron semble enfin prêt à écorner ce monde qu’il a lui-même sanctuarisé.
Car l’arrivée du clan Mangkwan, autrement appelés le peuple des cendres, marque une rupture dans l’univers de Pandora. Là où les Omatikaya (dans le premier film) et les Metkayina (dans le deuxième) vivaient en parfaite harmonie avec Eywa, la divinité-mère de la planète, les Mangkwan en sont les dissidents. Survivants d’un cataclysme naturel, eux ont perdu la foi. Leur histoire est marquée non par la symbiose, mais par la désillusion, la rupture et la colère. Varang, cheffe de ce peuple et interprétée par la comédienne Oona Chaplin (qui a commencé avec le rôle de réceptionniste d'un hôtel dans Quantum of Solace), est le vecteur principal de cette fracture idéologique. Jams Cameron ne la traite pas comme une antagoniste traditionnelle : elle n’est ni animée par la soif de pouvoir, ni par la haine gratuite. Elle est une femme de devoir, une meneuse forgée dans la souffrance, qui a choisi de rejeter l’ordre spirituel établi pour sauver son peuple de la misère. En ce sens, Avatar 3 ne met pas en scène une guerre du bien contre le mal, mais bien une confrontation de visions du monde.
C’est une évolution logique dans une saga qui, jusqu’ici, proposait une lecture très dichotomique de la réalité : d’un côté, la nature pure et sacrée ; de l’autre, l’industrie humaine destructrice. Avec de Feu et de Cendres, James Cameron introduit pour la première fois la complexité morale au sein même des Na’vi, brisant l’image d’un peuple homogène et uni. Les Mangkwan posent une question essentielle : que devient une culture spirituelle lorsqu’elle est confrontée à la douleur, au deuil, à l’injustice de la nature elle-même ? Dans une interview pour le magazine Empire, Oona Chaplin révèle s’être totalement investie dans ce rôle, jusqu’à se plonger dans des états mentaux sombres pour incarner cette leader tourmentée. Elle parle de “traumas non résolus”, de Slipknot, de chant de gorge. Autant d’éléments qui témoignent d’un personnage à la psyché complexe, enracinée dans la rage mais aussi dans une forme de pragmatisme désespéré. Chaplin elle-même insiste : Varang est perçue comme une héroïne par les siens. Et c’est bien là toute la subtilité du propos.
En opérant ce glissement narratif, Avatar 3 de Feu et de Cendres s’éloigne du récit initiatique et immersif des deux premiers volets pour s’approcher du drame politique et existentiel. On sent poindre l’influence de tragédies classiques, où les croyances s’effondrent face à la réalité brutale, où les chefs doivent faire des choix impossibles. C’est un tournant à la fois audacieux et nécessaire pour une saga qui, malgré ses exploits techniques indiscutables, risquait la redite sur le plan narratif. Reste à voir si Cameron parviendra à maintenir cet équilibre subtil entre innovation visuelle et densité émotionnelle. Avatar: Fire and Ash promet d’être un film plus rugueux, plus dur, peut-être plus humain aussi, en somme, le chapitre le plus mature de la saga.