L’histoire de Far Cry 6 commence comme à peu près tous les scénarii de la série, à savoir sur un drame qui va pousser notre personnage à se rebeller face à l’ordre établi. Et cette année, c’est un certain Antón Castillo à qui l’on doit le respect, un dictateur qui dirige d’une main de fer l’île fictive de Yara. À l’écran, c’est l’acteur Giancarlo Espositio qui endosse le rôle de Castillo, lui qui s’est fait mondialement connaître pour ses rôles de Gus Fring dans Breaking Bad et plus récemment de Moff Gideon dans The Mandalorian. Les méchants qui crèvent l’écran et marquent les esprits, il sait y faire et c’est la raison principale pour laquelle Ubisoft a fait appel à ses services. Et il est vrai que sa seule présence, son ton calme et sa froideur inquiètent dès les premiers mots prononcés. Ubisoft a sorti le chéquier pour se payer un acteur de cette stature, mais le retour sur investissement est immédiat, qu’il s’agisse du rôle retranscrit dans le jeu, ou ses apparitions lors de la campagne promo, il est évident que Far Cry 6 a multiplié les ventes rien qu’avec le nom d’Esposito. Si le marketing a fait son effet, qu’en est-il une fois en jeu ? En termes de modélisation, le rendu est ultra propre, surtout lors des séquences en CGI, un peu moins in-game lors des cinématiques où le visage semble encore un peu figé, mais ça reste du bon boulot.
DANI THE DOG
C’est en termes d’écriture où l’on aurait aimé être un peu plus surpris, et éviter le manichéisme évident. Oui, Antón Castillo a ses raisons d’être intraitable et d’user de la force et de la violence pour assouvir son peuple, mais foutre des balles entre les deux yeux à la moindre contrariété, c’est du déjà-vu et surtout un peu cliché. José le cousin qui parle mal à Diego, le fils Castillo, lors d’une partie de chasse aux volatiles et qui se fait plomber au pompe, c’est un peu facile. Tout comme la relation qu’entretien Antón avec son fils qu’il éduque à la roots pour en faire un futur dictateur à son tour. On aurait aimé un peu plus de subtilité, et peut-être un rôle plus dans la nuance pour Giancarlo Espositio. Cela dit, s’il y a bien une chose qu’on ne peut pas reprocher à Far Cry 6, c’est de proposer un discours un peu plus politisé, chose qui était finalement absent dans Far Cry 5, Ubisoft n’ayant pas eu le courage de s’en prendre à l’électorat profond de Donald Trump… Pour Far Cry 6, c’est un peu plus simple de prendre position, les inspirations lorgnant davantage du côté de Cuba ; il est donc plus simple de se mouiller. Mais ne boudons pas notre plaisir, car le scénario de Far Cry 6 est au-dessus de ce qui a été fait depuis les débuts de la série, d’autant que certains événements sont assez inattendus et le final surprend pas mal. Une bonne surprise.
En attendant, c’est bien Antón le dictateur qui est la cause de tous les maux du peuple Yaran et c’est ce qui va pousser Dani Rojas à se dresser contre lui et intégrer Libertad, un clan révolutionnaire qui use lui aussi de la force pour tenter de renverser le gouvernement en place. A l’image de ce qui se fait sur les derniers Assassin’s Creed, Ubisoft laisse le choix du sexe au joueur, sans qu’il y ait d’incidence sur le nom (ça sera toujours Dani Rojas) ni sur le déroulé de l’histoire. C’est certes cosmétique et on pourrait même se dire que pour un jeu qui se joue en vue subjective, on s’en contrefiche de savoir si on a un vagin ou un pénis entre les deux jambes. Eh bien, c’est là que Ubisoft parvient à étonner une fois encore, puiqu’on constate que les cinématiques ne se font plus à travers les yeux de son personnage muet, mais à travers une mise en scène plus immersive, étant donné qu’on va enfin pouvoir découvrir son personnage à l’écran. Il était temps et il aura fallu une quinzaine d’années pour que la série opère enfin un tel changement. Espérons que ça soit le cas pour les autres Far Cry à venir…
DANI CALIFORNIA
Qu’en est-il du coup côté gameplay ? Ubisoft est-il parvenu à surprendre également ? Disons qu’il ne faudra pas s’attendre à une révolution, Ubisoft Toronto ayant joué la carte de la continuité, tout en intégrant des features inédites pour donner le sentiment que la saga évolue dans le bon sens. Parmi ces nouveautés, on note en effet un petit côté RPG pas déplaisant qui consiste à se rendre dans un établi pour améliorer l’efficacité des armes. Balles perforantes, compensateur plus stable, viseur tactique, l’idée derrière tout ça, c’est de donner plus de profondeur aux affrontements avec les hommes armés de Castillo. Certains d’entre eux sont en effet plus vulnérables à certains types de balles, et cette feature a pour objectif d’apporter un côté un peu plus stratégique aux combats. De même, on observe que les développeurs ont supprimé l’arbre de compétences pour proposer des équipements qu’on peut récupérer ou acheter, afin de personnaliser son look vestimentaire bien sûr, mais également augmenter les performances de Dani Rojas. Vestes protectrices, gants en kevlar, bracelets de puissance, tous ces items sont là pour mieux protéger son avatar face aux assauts ennemis.
Sur le papier, c’est intéressant, mais une fois en jeu, on se rend compte que passer du temps dans l’établi et augmenter sa garde-robe n’a finalement que peu d’impact sur le gameplay. En réalité, on se rend très vite compte des faiblesses chez les ennemis, un peu trop lents d’esprit et qu’on peut one-shoter d’une balle dans la tête. C’est d’ailleurs tellement permissif qu’on se demande parfois si on ne joue pas en mode Very Easy. Evidemment, on ne demande pas à un Far Cry d’être aussi profond qu’un Rainbow Six et de jouer la carte du réalisme, mais un peu de challenge n’aurait pas été de trop. C’est d’autant plus vrai que ce Far Cry 6 introduit une arme inédite : le Supremo. Derrière ce nom se cache en réalité un sac-à-dos capable de balancer une attaque suprême pour se débarrasser efficacement d’un régiment. Il existe plusieurs variantes qui permettent par exemple d’envoyer une série de missiles, propulser des flammes autour de soi, ou se soigner efficacement. En vrai, on ne va pas jouer les vierges effarouchées, Far Cry 6 se destine avant tout au grand public et les gunfights se doivent d’être simples, fun et jouissives. Si on part de ce principe, le contrat est rempli, et il est vrai que les sensations, arsenal en mains, sont nettement plus grisantes que celles de Far Cry 5, pour ne citer que lui. Par contre, étant donné la simplicité à abattre les ennemis dans le jeu, il est tout à fait possible de faire toute l’aventure avec une ou deux armes différentes, en rajoutant un silencieux pour les passages stealth. Il y a donc une forme de contradiction entre les ambitions posées sur papier et le résultat in-game.
DANI BOOM
Ce qui ne change pas dans Far Cry 6 en revanche, c’est qu’il va falloir sillonner l’open world avant de parvenir au QG d’Antón Castillos. Celles et ceux qui aiment les terrains de jeu massifs risquent d’être servis, l’île de yara étant la plus grande carte jamais élaborée dans la saga. C’est à s’y perdre par moments, d’autant qu’en termes de variété de paysages, c’est sensiblement la même chose. Certes, les zones se distinguent par des forêts, des marécages, des montagnes et une grande ville (une seule d’ailleurs, ce qui est fort regrettable), mais grosse modo, on est sur les mêmes tonalités. En s’inspirant d’ailleurs de Cuba, la map de Far Cry 6 demeure nettement plus séduisante que les campagnes monotones du Montana qu’on avait parcourues dans Far Cry 5 en 2018. On pourrait appeler ça un retour aux sources en termes d’ambiance, mais ce n’est pas encore les décors paradisiaques du premier et troisième épisode. Ayez d’ailleurs en tête que l’île de Yara est découpée en plusieurs zones appartenant chacune à un groupe révolutionnaire qu’il va falloir rallier à sa cause. Pour ce faire, il n’y a pas 36 000 choix possibles, il faut éliminer chacun des lieutenants de Castillo qui règne sur ces districts. S’il est possible de se rendre dans chaque zone de manière libre, Ubisoft a quand même fait en sorte de nous aiguiller sur l’ordre à suivre, via un système de progression qui indique le degré de puissance des ennemis à combattre dans telle ou telle partie de la map.
YARA YALA !
Autre nouveauté introduite dans Far Cry 6 et qu’il va falloir garder pour les épisodes à venir, c’est la mécanique de holdster qui permet de cacher son arme pour ne pas alerter les patrouilles ennemies. Ce n’est pas grand-chose dit comme ça, mais ça soulage pas mal le joueur qui était jusqu’à présent obliger de combattre au combat dès lors que des ennemis nous avaient repéré sur leur chemin. Cela fonctionne avec les soldats, mais aussi avec les animaux sauvages qui ne nous sautent plus dessus pour un oui ou pour un non. En revanche, si vous décidez de pénétrer en territoire ennemi, vous serez immédiatement pris pour cible, ce qui est assez logique dans le raisonnement. Autre élément de jeu qui nous a surpris, c’est le système de camps, repris de Far Cry Primal, et qui permet au joueur de se balader librement, sans craindre de devoir dégainer son arme au moindre bruit inquiétant. Le jeu passe alors en vue à la troisième personne pour marquer la différence, ce qui permet en sus de pouvoir contempler son personnage et donne du sens à tous les éléments cosmétiques qu’on a pu récupérer au fil de l’aventure. C’est à l’intérieur de ces camps qu’on peut mettre en place un bureau de construction, qui permet de débloquer des installations précises : cantina, réseau de pêche, pavillon de chasse, réseau de planques, caserne des bandidos, garnison de guerrillos, etc. Grâce à ces installations, la progression dans le jeu va se montrer plus agréable, puisqu’on va pouvoir participer à d’autres activités et découvrir la wingsuit par exemple. C’est dans ces moments de quiétude qu’on peut aussi faire connaissance avec les amigos, des animaux domestiqués (chien amputé, coq et alligator) qui sont d’une aide précieuse lors des combats, sachant qu’eux aussi peuvent gagner en compétences.
LOS POLLOS HERMANOS
Un mot sur la technique avant de conclure : Far Cry 6 est de loin l’épisode le plus abouti visuellement et surtout le mieux maîtrisé. Les environnements sont denses, riches en détails et il n’est pas rare de prendre le temps de contempler les paysages rien que pour leur beauté. Les effets de lumière contribuent à s’en prendre plein les yeux et surtout, le jeu a enfin gagné en maturité en termes de modélisation des personnages. Bon, il y a encore quelques PNJ qui donnent le sentiment d’être sorti d’un éditeur des Sims, mais globalement, on ressent un véritable effort pour donner vie à certains protagonistes. Les conditions météorologiques contribuent également à donner du caractère à l’île de Yara, et il n’est pas rare d’avoir eu le sentiment qu’Ubisoft Toronto est allé chercher de l’inspiration du côté de Rockstar Games et Red Dead Redemption 2, avec ces moments de forte pluie où les éclairs frappent le ciel couvert à dos de canasson. Globalement magnifique, Far Cry 6 jure pas mal lorsqu’on s’attarder sur certains effets spéciaux. Les flammes, les explosions et la fumée jurent énormément avec le reste du jeu, à se demander pourquoi les développeurs n’ont pas pris la peine d’améliorer ces rendus qui apparaissent en plus très souvent in-game. Autre détail inhérent à la série, la physique et la conduite des véhicules est toujours aussi laborieuse, et vu qu’il s’agit d’un défaut récurent, on imagine que c’est dû au moteur 3D du jeu, pas du tout adapté pour faire conduire une voiture ou piloter un hélico. Quant aux bugs, il n’y en a toujours à foison, mais pour un jeu Ubi, est-ce vraiment nécessaire de le préciser aujourd’hui ?