Mais dans quel univers se déroule donc Scorn ? Nous ne répondrons pas à cette question à votre place, car se perdre dans le monde créé par les développeurs et s'interroger sur son essence fait partie intégrante de l'expérience. Les architectures improbables, les installation biomécaniques, les cocons et les viscères disséminés ici ou là évoquent tour à tour, et parfois tout à la fois, un vaisseau spatial, une cathédrale extraterrestre, l'intérieur d'un corps inconnu, ou encore les couloirs des enfers. Une chose est sûre, quasiment chaque image générée par la Xbox ou le PC (en 4K/60 fps pour ne rien gâcher) est une véritable vision de cauchemar. Plus important encore, les graphismes renvoient en permanence aux travaux de H.R. Giger (le mythique designer d'Alien qu'on ne présente plus) et Zdzisław Beksiński (un artiste polonais au style fantastique, dans tous les sens du terme). Sous certains angles, les décors semblent être de véritables illustration et peintures, à ceci près qu'il est permis de se déplacer dedans. L'exploration est d'autant plus agréable que la vue à la première personne n'oublie pas le "body awareness" (les jambes décharnées et le corps mutilé de notre mystérieux personnage sont modélisés et visibles), tandis que le level design fait un usage pertinent du "labyrinthisme". On se perd juste ce qu'il faut, et les inévitables allers-retours ne tapent pas sur les nerfs. Les cinq actes qui composent l'aventure se déroulent dans des lieux énigmatiques à la fois cohérents et variés. Que l'on se retrouve dans des paysages désolés ou des couloirs exigus, il ne fait nul doute qu'ils appartiennent au même monde et racontent la même histoire, même si chacun endroit possède sa propre personnalité. A la fois mécanique et organique, voire religieux et sexuel, l'univers de Scorn se démarque clairement du reste de la production vidéoludique.
LA SCORN DU DIABLE
Quant aux événements dont on se retrouve parfois spectateur et le plus souvent acteur, ils paraissent tous plus angoissants et dérangeants les uns que les autres. Nous ne vous divulgâcherons rien, mais attendez-vous à pousser des "oh" et des "ah" de surprise et de dégoût devant différentes scènes de mutilations et de tortures diverses, dont vous serez parfois la victime et parfois le bourreau. Le jeu prend aux tripes, littéralement par moments. D'ailleurs, le simple fait de ramasser une arme ou un objet tient plus de la greffe d'organes qu'autre chose. Précisons au passage que Scorn ne peut raisonnablement pas être qualifié de FPS. Il n'y a que quatre armes (un outil détourné, et les équivalents semi-organiques d'un pistolet, d'un fusil à pompe et d'un lance-grenades), leur rechargement est lent, et leurs dégâts pas formidables. Ceci est bien évidemment volontaire de la part des développeurs, afin de conserver la tension et l'angoisse qui nous étreignent le reste du temps. Hors de question de nous rendre surpuissants ! L'intention est louable mais, du coup, les séquences d'affrontement direct ne constituent clairement pas le point fort du jeu. Elles restent rares, heureusement, et il est parfois possible d'éviter les créatures ennemies plutôt que de les affronter. Il faut tout de même faire avec une séquence de boss qui arrive un peu comme un cheveu sur la soupe vers les trois quarts de l'aventure. Beaucoup trop estampillée "jeu vidéo" (affrontement armé, différentes phases…), elle nous semble plus desservir l'univers qu'autre chose.
L'AVENTURE À LA DURE
Après avoir évoqué l'esthétique de Scorn, son ambiance malsaine, et ce qu'il n'est pas, il est plus que temps de préciser de quoi est fait l'essentiel du gameplay. La vue subjective sert en réalité un véritable jeu d'aventures, une sorte de Myst étrange et malsain. Chaque acte nous place face à des machines et des installations inconnues, dont il faut deviner l'usage et le fonctionnement afin de pouvoir progresser. Pour cela, le malheureux protagoniste doit régulièrement plonger ses doigts, ses mains ou ses bras dans des orifices douteux, afin de prendre le contrôle de différents mécanismes. Les énigmes sont toutes correctement équilibrées, nous bloquant quelques instants tout en distillant discrètement et naturellement quelques indices dans les décors. Ouverture de porte, libération de passages et autres rétablissement d'ascenseurs sont des objectifs qui seraient bien ternes et classiques ailleurs, mais l'univers torturé leur apporte ici une saveur particulière. Tous les mécanismes étant étranges et inconnus, le plaisir du joueur vient en deux temps : une première fois quand il saisit enfin leur nature, et une deuxième quand il résout l'énigme à proprement parler.
Volontairement minimaliste, l'interface laisse la place aux interactions naturelles, et n'entrave jamais le plaisir de la découverte, une composante décidément centrale dans l'expérience de jeu. Même le système de santé et de munitions sont initialement dissimulés et doivent être dénichés par le joueur lui-même. Il serait malvenu de reprocher cet aspect cryptique à Scorn, tout comme il serait malvenu de se plaindre de l'inefficience des armes évoquée plus haut. Cela ne veut pas dire pour autant que le jeu est dénué de défauts. La durée de vie se situe entre six et huit heures seulement, selon la capacité du joueur à résoudre les énigmes et à vaincre ce satané boss, et nous avons rencontré à deux reprises des problèmes de collisions, uniquement visuels heureusement (éléments qui s'entremêlent quelques secondes alors qu'ils ne le devraient pas). Le problème le plus gênant provient du système de sauvegardes, basé sur des points de reprise prédéfinis et pas toujours bien placés. Nous aurions préféré pouvoir sauvegarder à n'importe quel moment. Quant à la toute fin du jeu, si elle est évidemment sujette à interprétation (le contraire eut été décevant), elle nous a paru manquer d'envergure. Mais peut-être n'avons-nous pas tout compris ? Allez, on va se faire une deuxième partie pour être sûrs !