Une jeune femme en quête de vengeance, ses parents massacrés par une troupe de mercenaires masqués, chacun introduit avec une mise en scène dramatique digne d’un western classique… difficile de ne pas remarquer à quel point le postulat de Ghost of Yotei évoque celui d’Assassin’s Creed Shadows, paru en mars dernier. Ayant désormais achevé les deux titres, je peux affirmer sans détour que les ressemblances sont frappantes, tant dans la trame narrative que dans certaines orientations de game design. De là à soupçonner une taupe dans chaque équipe de développement, il n’y a qu’un pas. Cependant, ce genre de coïncidences créatives n’a rien d’inédit. Le cinéma en offre de multiples exemples : combien de fois a-t-on vu deux films au scénario quasi identique sortir simultanément ? Je pense notamment aux deux remakes de La Guerre des Boutons, ou encore aux biopics consacrés à Yves Saint Laurent. Ces parallèles ne signifient nullement qu’un projet ait nécessairement copié l’autre. Rappelons par ailleurs que Ghost of Tsushima s’est lui-même largement construit sur les bases d’Assassin’s Creed. Durant des années, la rumeur voulait qu’il incarne justement « l’Assassin’s Creed au Japon » qu’Ubisoft n’avait jamais osé proposer.
Nous sommes désormais en 2025, et Ubisoft a enfin proposé son Assassin’s Creed situé au Japon. En mettant de côté les polémiques récurrentes autour du « wokisme », force est de reconnaître que le titre disposait de solides arguments pour séduire, au premier rang desquels son esthétique : graphismes, direction artistique et traitement visuel de son monde ouvert. Autant briser le suspense immédiatement : oui, Assassin’s Creed Shadows surpasse Ghost of Yotei sur le plan technique, et cela ne souffre guère de contestation. Le moteur Anvil employé par Ubisoft s’avère supérieur en tous points à celui de Sucker Punch, lequel s’est appuyé sur une large réutilisation d’assets issus de Ghost of Tsushima pour donner vie à Ghost of Yotei. En observant ce dernier de près, on constate d’ailleurs que les évolutions graphiques restent limitées. Le moteur demeure identique, les animations également, et une part conséquente des éléments visuels a été recyclée. Or, avec le passage sur PlayStation 5, on était en droit d’espérer une proposition plus audacieuse, plus spectaculaire encore.
Cependant, Ghost of Yotei possède un atout majeur qui lui permet non seulement de compenser, mais parfois même de surpasser Assassin’s Creed Shadows : sa direction artistique, plus audacieuse encore que celle de Ghost of Tsushima. Sucker Punch ne s’est pas contenté de reproduire une formule éprouvée ; le studio a repoussé les curseurs au maximum afin de nous plonger dans une vision sublimée, presque onirique, du Japon ancestral. Sucker Punch n’a pas lésiné sur les moyens, et a même poussé les potards à fond pour nous transporter dans un monde idéalisé, celui du Japon d’antan qui fait rêver, quitte peut-être à mettre de côté certaines lois de la nature. Des érables aux feuillages écarlates, dressés dans des montagnes balayées par le blizzard à –10 degrés, n’ont rien de réaliste. Sucker Punch en est évidemment conscient, mais l’objectif n’était pas la stricte exactitude : il s’agissait de composer des paysages marqués, contrastés, où chaque choix chromatique frappe le regard et stimule l’imaginaire. Et le résultat est indéniablement réussi. Ce détachement vis-à-vis du réalisme historique tranche d’ailleurs avec la réception d’Assassin’s Creed Shadows. Ubisoft avait, par exemple, essuyé une polémique disproportionnée autour de la présence de pastèques récoltées en pleine saison des cerisiers en fleurs. Une querelle stérile, symptôme moins d’un véritable souci de cohérence que d’une volonté de nuire au jeu, par rejet viscéral d’Ubisoft. Avec le recul, cette controverse apparaît d’autant plus ridicule.
DA > GRAPHISMES ?
Mais revenons à nos moutons et à cette DA de Ghost of Yotei complètement folle, qui va évidemment nous faire voyager sur cette île d’Hokkaido, celle la plus au nord du Japon et qui sert donc de théâtre de guerre pour l’histoire d’Astu. En plaçant le récit au pied du Mont Yotei, le studio Sucker Punch insuffle un côté encore plus majestueux à son jeu. Si vous êtes du genre à vous balader dans les open world pour vous pendre des shots de voyages virtuels, vous allez être servi, d’autant que les développeurs ont fait un effort de mise en scène considérable. Lors de certains passages, les plans ont été resserrés, tandis que d’autres vont prendre plus d’ampleur, et laisser la caméra s’éloigner et suivre l’action comme un drône qui aurait pris son sujet en filature. L’effet est sensationnel et les bandes noires qui s’ajoutent à l’écran ajoutent de la cinématographie à ces moments magiques, comme suspendu dans le temps. Cela dit, cet effet drone et rendu cinémascope est réservé à certaines régions de l’open world, les autres proposant une mise en scène plus classique. Pourquoi ? Incapable de vous dire. De toutes les façons, après toutes ces années à scruter ce qui a fonctionné sur les joueurs avec Ghost of Tsushima et ce qu’ils ont partagé sur les réseaux sociaux, Sucker Punch n’a pas lésiné sur de nouveaux détails pour nous immerger complètement dans ce Japon des années 1600. Atsu qui se met à caresser les hautes herbes quand elle marche, le cheval qui gagne en boost quand il galope au milieu des fleurs blanches.
AND THE WIND CRIES ATSU
Et puis, il y a cette toujours cette connexion à la nature qui est unique en son genre : le vent qui guide notre chemin de façon organique, la nature qui se plie avec les bourrasques et une map qui a été vidée de tout indicateur, tout est fait pour que le joueur puisse se perdre dans cet open world féérique. Comme dans Ghost of Tsushima, c’est au joueur de tracer son chemin, de lever le voile sur les points d’intérêt, de déclencher une mission secondaire après avoir croisé quelqu’un de façon fortuite, de lancer une quête principale ou d’entamer une mission secondaire, la plupart étant déployées sur plusieurs arcs narratifs. C’est d’ailleurs l’une des grandes forces de cette suite, un travail plus fin et plus intelligent dans la construction de l’open world pour que l’aventure ne soit pas trop redondante. Avec autant de lieux à découvrir, il est courant de s’écarter de la trajectoire principale, attiré par un piaillement particulier, une carriole abandonnée, une étrange colonne de fumée ou un personnage isolé. En termes de densité d’ailleurs, la map de Ghost of Yotei est assez similaire à celle de Ghost of Tsushima. Encore plus que ce dernier, chaque élément secondaire dans Yotei est pensé avec plus d’intelligence, donnant envie de terminer le jeu à 100%, même pour ceux qui ne sont pas complétistes.
Cela étant dit, il serait malhonnête de ne pas dire que Sucker Punch a pas mal recyclé certaines quêtes, comme les renards à suivre, les onsen pour se détendre, les bambous d’entraînement, les sanctuaires shinto renfermant des charmes, il y a pas mal redites il faut l’admetttre. Mais Sucker Punch a également ajouté d’autres éléments pour que les 4 piliers de l’open world, à savoir exploration, récits, quêtes secondaires et missions principales, soient réparties de façon plus naturelle. C’est d’autant plus vrai qe les voyages rapides dans Ghost of Yotei sont mieux travaillés, avec des points de déplacement intelligemment placés pour éviter de faire perdre du temps au joueur à retraverser une zone entière. Et puis, Atsu peut aussi monter un campement à tout moment quand elle est à cheval, une mécanique popularisée par un certain Red Dead Redemption 2, et qui permet non seulement de retrouver toute sa santé et ses jauges d’esprit, mais aussi de fabriquer des projectiles, jouer du Shamisen, de dormir, de discuter avec des vagabonds qui veulent partager votre repas. Parce que oui, Astu peut aussi cuisiner. C’est assez limité dans la proposition d’ailleurs, c’est soit des champignons, soit du poisson, mais il y a cette mécanique en vue subjective où il faut griller ses aliments avec la gyroscopie de la DualSense qui est amusante. D’ailleurs, en parlant de vue 1ère personne, Ghost of Yotei va aussi demander de forger ses armes comme un vrai forgeron, comme dans Kingdom Come Deliverance 2. C’est clairement le truc qu’on n’a pas vu venir, mais qui participe là aussi à l’immersion, sachant que forger dans Yotei est plus simple et plus rapide que dans Kingdom Come 2, je vous rassure. Sucker Punch veut que son jeu reste grand public, ils ne sont pas fous non plus.
JIN SAKAI / ATSU : MÊME COMBAT
Concernant le gameplay, Ghost of Yotei a repris énormément de choses à Tsushima et le système de combat est d’ailleurs l’exact réplique que l’épisode de 2020. Si Jin Sakai pouvait compter sur ses différentes postures pour affronter différents types d’ennemis, Atsu peut porter plusieurs armes différentes. Le katana, les doubles katanas, le kusarigama qui est cette faucille rattachée à une chaîne, l’Odaichi qui est une longue épée courbée qui se tient à deux mains, le Yari qui est la lance, les arcs, les bombes fumigènes, les différents projectiles et enfin le tanegashima, ce fusil introduit par les Portugais au XVIᵉ siècle. C’est la dernière arme à débloquer et qui arrive d’ailleurs très tardivement dans le récit, alors que son apport est considérable, d’autant qu’il est possible d’avoir aussi un pistolet à courte portée, très utile aussi dans les combats au corps-à-corps. On est vraiment sur les mêmes mécaniques, les mêmes principes et vous allez voir que vous serez en terrain très connu. La vraie grande nouveauté dans le système de combat réside dans ce loup que vous allez devoir apprivoiser au fil de l’aventure pour qu’il puisse vous venir en aide dans les moments les plus tendus. Le jeu vous pousse à tisser des liens avec lui, en cherchant les différentes tanières et en libérant ses congénères. D’ailleurs, Ghost of Yotei n’a pas jugé bon de corriger ce que beaucoup avaient pointé du doigt dans Tsushima, c’est l’absence de lock, ce qui peut évidemment rendre certaines attaques imprécises. Je comprends que Sucker Punch voulait garder cette souplesse dans les affrontements à 360 degrés, mais je suis persuadé qu’on pouvait trouver un compromis. D’autant que parfois, la caméra est tellement serrée sur Atsu qu’on perd de vue les adversaires, souvent en nombre d’ailleurs, et ce pour notre plus grand plaisir. Après, en dehors de ces désagréments, les affrontements restent toujours aussi jouissifs, dès lors qu’on maîtrise les subtilités.
Par contre, s’il y a bien un élément qui aurait mérité d’être revu et corrigé, c’est l’IA qui est toujours aussi décevante dans Ghost of Yotei. C’est simple, c’est exactement la même que dans Tsushima et dont les incohérences sont toujours aussi lunaires. Il est évident que Sucker Punch a voulu que son infiltration soit la moins frustrante possible, la plus grand public, mais quand même… Exécuter un garde alors que son coéquipier est situé à même pas 3 mètres, c’est un peu abusé. Lorsqu’on est repéré, un coup de corne alerte les ennemis, mais seulement certains se déplacent, tandis que les autres restent immobiles, comme figés. De la même manière, il n’est pas rare de voir un soldat ignorer totalement un allié agonisant à quelques mètres à peine. En revanche, les archers, eux, bénéficient d’une vigilance étonnante : ils préviennent leurs camarades avant de décocher une flèche, ce qui rend les attaques surprises beaucoup plus délicates. D’autant qu’ils visent comme des chefs. Bref, Sucker Punch n’a rien fait pour travailler l’IA et c’est décevant.
GARÔ DENSETSU : MARK OF THE WOLVES
Sinon, parmi les nouveautés que Ghost of Yotei a introduites et qui ont été pas mal montrées dans les trailers de gameplay, c’est cette possibilité de retourner dans le passé d’un simple clic sur le pavé tactile. En réalité, cette fonction n’est valable que dans la maison d’enfance d’Astu et qui a pour objectif de renforcer la dramaturgie entre ce qui s’est passé quand elle était encore une fillette et maintenant qu’elle est devenue l’Onryo. De toutes les façons, le récit fait aussi partie de la force de Ghost of Yotei, et cette histoire de vengeance touche évidemment en plein cœur, compte-tenu des événements qui sont révélés. Il y a d’ailleurs quelques rebondissements inattendus plutôt cool, et surtout si le jeu surprend par la brutalité de certaines séquences, Sucker Punch sait parfaitement les mettre en scène, qu’il s’agisse des introductions, des cinématiques ou de la manière de les raconter. Chose que Assassin’s Creed Shadows n’a pas su faire, c’était d’ailleurs l’une de ses faiblesses, tout comme son quest design so 2010. Là, au contraire, Ghost of Yotei a réussi à être encore plus moderne dans sa narration et la manière de les traduire en jeu. On appréciera d’ailleurs que le jeu s’attarde sur les Aïnous, un peuple autochtone vivant dans le Nord du Japon, notamment dans l'île d'Hokkaidō, et dans l'Extrême-Orient de la Russie.
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