Ballerina meilleure que certains épisodes de John Wick ? Carrément. J’ai passé un bien meilleur moment devant Ballerina que John Wick 2 et 3 qui n’ont d’ailleurs pas très bien vieilli, surtout le 2 qui cherchait encore sa voix, tandis que le 3 s’est un peu noyé dans un lore qui est parti un peu en cacahuètes et qui manquait de scènes véritablement marquantes, malgré la présence de Mark Dacascos et des spécialistes du Pencak Silat que sont Yayan Ruhian et Cecep Arif Rahman. Ils étaient beaucoup trop forts face à Keanu Reeves et ça se voyait trop à l’écran, d’où le déséquilibre. Je l'avais dit à l’époque, c’est encore plus flagrant aujourd’hui, surtout après un John Wick 4 aussi bien maîtrisé. En fait, là où Ballerina excelle, c’est dans son rythme, dans la variété de ses scènes d’action et surtout l’implication incroyable de son actrice principale, Ana de Armas.
WICK IS PAIN
Contrairement aux épisodes de John Wick, Ballerina n’essaie jamais de noyer le spectateur dans un lore qu’on tenterait de nous survendre, car le film est déjà par essence une extension de l’univers créé par Chad Stahelski et Keanu Reeves. Résultat, le film se concentre sur ce pour quoi on est allé au cinéma : assister à un enchaînement de scènes d’action et de bravoure pendant 2 heures parfaitement optimisées, et voir à quel point Ana de Armas est sans doute la vraie révélation du film. Non seulement sa présence à l’écran suffit à acheter un billet de cinéma les yeux fermés, mais son implication dans chaque scène et cascade force le respect. Très sincèrement, à part Charlize Theron dans Atomic Blonde, je n’ai pas vu une autre actrice qui soit aussi crédible dans des scènes de fight où l’on essaie de ne pas trop tricher avec des cut intempestifs et des shaky-cam vomitifs. Il y a bien eu Mary Elizabeth Winstead qui aurait pu tenter quelque chose aussi, mais son Kate sur Netflix s’est soldé par un échec artistique.
FIGHT LIKE A GIRL !
Ana de Armas impressionne par son engagement physique et il suffit de la voir à l'œuvre pour comprendre qu’elle a passé des mois à s’entraîner dur. Dans les interviews, elle n’hésite pas à expliquer qu’elle est repartie du tournage avec des bleus et des hématomes, mais que le résultat en valait la chandelle. Bien sûr, lors de certaines séquences, on arrive à voir que ce n’est pas elle qui reçoit les coups, tout comme elle a été remplacée pour ne pas se prendre le lance-flammes en pleine gueule, mais il y a un respect total de la cascade que ces rares moments ne jurent jamais. Non, ce qui est vraiment réussi dans ce Ballerina, c’est que les scènes d’action ont été designées pour que Ana de Armas puissent réaliser la majorité des scènes, avec évidemment un certain sacrifice physique de sa part, mais le film essaie justement de ne jamais tricher avec des astuces de mise en scène. La caméra de Len Wiseman, et surtout Chad Stahelski venu en renfort pour les reshoots, cherche à capter le plus possible chaque geste, chaque mandale donnée, chaque coup reçu. Réalisateurs, au pluriel, action designers et cascadeurs n’ont jamais cédé à la facilité et ça se voit à l’écran, d’autant que le film enchaîne les séquences de combat spectaculaires. Il y a littéralement une scène de fight toutes les 5 minutes, avec une envie de varier les propositions. Certains trouveront un manque de consistance narrative, avec parfois des personnages qui popent et disparaissent un peu comme par magie, je pense notamment à Pine, le personnage incarné par Norman Reedus, et c’est vrai que c’est parfois bien trop léger, mais encore une fois, je vais me répéter, le film n’a pas la prétention de faire ce que John Wick fait déjà et parfois maladroitement. C’est donc très bien que Ballerina se focalise sur la base de ce genre de film : du gun-fu et l’inventivité des chorégraphies, c’est ça qui compte. Le reste n’est que secondaire. On est sur un revenge movie simple et basique et on n’en demande pas plus.
ANA, MAMMA MIA !
D’ailleurs, étant donné que le film assume son ambition féminine, sans pour autant verser dans un féminisme revendiqué d’ailleurs (et c’est tout à son honneur), Ballerina sait exactement ce qu’il faut faire pour plaire à son public. Eve Macarro, le personnage campé par Ana de Armas est là pour frapper, pour planter, pour brûler et même faire exploser les ennemis qu’elle va croiser sur sa route. Et contrairement à John Wick qui prend le soin de choisir ses armes pour être létal, Eve n’hésite pas à prendre ce qui lui passe sous la main : couteaux de cuisine, poêles à griller, patins à glace, grenades et même et lance-flammes, chacune de ces armes devient des extensions de sa folie meurtrière. Ce côté armes de fortune avec une utilisation interactive des éléments du décor rappelle évidemment le cinéma d’action de Jackie Chan, qui s’est toujours servi de ce qu’il y avait autour de lui pour s’en sortir. Un côté organique et réaliste des situations, burlesques aussi qu’on retrouve aussi dans ce Ballerina. La scène des assiettes que Eve et une adversaire bavaroise se fracassent sur la gueule en est le meilleur exemple. Il faut dire qu’il y a une phrase qui est dite en début de film, lors de son entraînement et qui va forger la personnalité d’Eve Macarro, c’est le fameux “Fight like a girl”, autrement dit, puisque tu seras toujours inférieure physiquement à un homme assassin, fais usage de ton intelligence et de ce qui te passe sous la main pour prendre l’avantage. Et c’est aussi en cela que Ballerina réussit son pari de se distinguer de John Wick tout en conservant son héritage.
Et puisqu’on parle de legacy, Ballerina n’a pas seulement repris la grammaire de la mise en scène des John Wick, le film s’inspire aussi des codes visuels de ce dernier. Lumière tamisée, palette de couleurs néon, séquence dans un nightclub, on retrouve tous les tics esthétiques de John Wick, ce qui n’empêche pas la photographie de Ballerina d’être sublime, et d’être signée par Romain Lacourbas, chef op d’origine français, qui livre un objet visuellement raffiné, fidèle à l’ADN de John Wick. Bref, techniquement, Ballerina coche toutes les cases et tout est fait pour assurer la continuité stylistique sans sombrer dans le mimétisme paresseux. le film ne révolutionne absolument rien, qu’on s’entende bien, mais au moins, il a le mérite d’avoir compris la grammaire Wick. Le rôle pensé sur-mesure pour Ana de Armas fait partie de cette réussite, et Ballerina parvient à faire ce que peu de spin-offs réussissent : il justifie son existence. Un contrechamp féminin bienvenu, viscéral, et surtout, bien filmé. De quoi patienter avant l’arrivée d’un John Wick 5 qui a une pression de 10 tonnes sur ses épaules, car il doit tout faire en mieux. 'Bon chance' comme on dit !
NOTRE NOTE : 7.5/10
Ballerina aurait pu n’être qu’un produit dérivé de plus, un spin-off opportuniste surfant sur la vague John Wick. Mais grâce à une direction artistique maîtrisée, une efficacité redoutable dans l’action, et surtout l’engagement total d’Ana de Armas, le film transcende son statut pour s’imposer comme une proposition à part entière. Sans chercher à singer John Wick, il en adopte les codes pour mieux les remodeler, avec une identité propre, nerveuse, plus organique et parfois même plus humaine. Si tous les spin-offs avaient ce niveau d’exigence, on ne râlerait pas autant quand Hollywood recycle ses franchises. En attendant le cinquième épisode canonique, Ballerina prouve que l’univers Wick a encore des balles dans le chargeur, surtout quand c’est une femme qui appuie sur la gâchette.