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The Order 1886 : le jeu était pensé comme une trilogie, mais Sony n'en a pas voulu

The Order 1886 : le jeu était pensé comme une trilogie, mais Sony n'en a pas voulu

Qui ne se souvient pas de The Order 1886 ? Vitrine technologique de la PS4 à ses débuts en 2013, il fut surtout le fer de lance du studio Ready at Dawn, co-fondé par un certain Ru Weerasuriya. Motivé, ambitieux et certain de détenir une belle licence avec The Order 1886, le directeur créatif avait même pensé sa nouvelle IP comme une trilogie. Mais les mauvaises notes de la presse de l'époque, les retours mitigés des joueurs et les ventes insuffisantes auront mis un stop à son rêve. Dans un entretien exclusif avec Julien Chièze, il revient sur la genèse de ce projet et parle de son avenir, celui de Atlantis Studio dans lequel il a investi de ses sous, afin de soutenir Nico Augusto. Petit débrief de ce qui s'est dit durant ces 1h30 d'entretien.

The Order 1886

THE ORDER 1886, L'ÉTOILE MONTANTE, PUIS FILANTE...

Derrière les rideaux bien tirés de l’industrie vidéoludique, on devine parfois des trajectoires humaines faites de risques, d’acharnement, de trahisons douces et de réinventions inattendues. C’est l’histoire de Ready At Dawn, studio culte, auteur du très singulier The Order 1886, et de son créateur, Ru Weerasuriya, revenu d’un silence de plomb pour partager les coulisses d’un projet aussi mythique que maudit. Lorsque Sony confie les clés d’un nouveau projet à Ready At Dawn, la confiance est totale. Une liberté créative presque insolente est accordée au studio pendant une année entière. Pas de rapports, pas de milestone publique, juste une injonction à créer, le tout en silence bien évidemment. Un an plus tard, un premier jet est créée : une démo temps réel sur PlayStation 4 bluffe les têtes pensantes de Sony, Shuhei Yoshida et Scott Rohde en tête de gondole. Ce qu’ils voient semble impensable sur PS4. Le pari est tenu. Le feu vert est donné. Mais ce que personne ne sait encore, c’est que ce jeu — The Order: 1886 — ne sortira pas indemne de ce rêve de grandeur. C’était censé être le début d’une trilogie. Ce fut la fin d’un rêve.

26 mois. C’est la durée contractuelle prévue initialement entre Sony Interactive Entertainment et Ready at Dawn pour développer cette nouvelle licence. Un non-sens industriel quand on connaît la durée normale d’une telle entreprise (souvent 5 à 6 ans chez Sony pour une nouvelle IP). Le studio démarre avec 60 personnes, atteint au maximum 125 — là où des AAA comparables mobilisent le double, voire le triple. Malgré tout, grâce à une première démo percutante, 13 mois supplémentaires sont accordés. Le développement s’étendra au final sur 43 mois, avec un dernier report pour produire un trailer temps réel pour l’E3 2013. Le studio crée son propre moteur, une hérésie aujourd’hui, une norme hier, intégrant un PBR maison, une simulation de vêtements avancée, et des textures photo-réalistes. Le trailer E3 2013 devient ainsi le premier trailer PS4 diffusé en temps réel sur scène. Mais The Order 1886, c’est aussi une patine visuelle unique, une direction artistique cinématographique marquée : brumes, lumières tamisées, esthétique victorienne revisitée. Le style est là. La signature aussi. Il ne manque qu’un dernier ingrédient : le temps.

Atlantis Studio

Ce qu'on n'a jamais su : contenu sacrifié, mode multi abandonné
À six mois de la sortie, l’impensable devient réalité : 30% du contenu est coupé. Sony Interactive Entertainment ne peut plus se permettre de repousser la date. Un mode multijoueur pourtant fonctionnel est entièrement abandonné. Trop court, trop cher, trop tard. Et pourtant, The Order 1886 n’était que le premier chapitre d’une trilogie planifiée depuis 2007. Deux suites étaient écrites : 1891 et 1899, avec un lore qui couvrait plusieurs siècles. Une suite avait même commencé à prendre forme : combats plus intenses, jusqu’à 60 ennemis à l’écran, boss, créatures, humains, et un mode multijoueur repensé. Mais tout cela restera dans les tiroirs.

Une réception injuste, une réhabilitation en vue ?
À sa sortie, The Order 1886 polarise : visuellement bluffant, mais jugé trop court, trop linéaire. Le gameplay, trop dirigiste pour certains, passe à côté d’un public en quête de liberté. Et pourtant, l’industrie reconnaît le tour de force technique. Le jeu remporte des prix, y compris à Hollywood, surpassant Le Seigneur des Anneaux pour ses effets visuels. Rien que ça. Mais pour Sony, les chiffres ne suivent pas, ce qui signifie qu'il n'y aura pas de suite. Pour Ru Weerasuriya, le problème est ailleurs : l’économie du jeu vidéo s’est emballée. Sur PS2, il fallait compter autour des 20 millions de dollars pour faire un jeu. A l'ère de la PS3, on était monté à 30–50 millions de dollars et une fois entré dans la génération PS4, les budgets ont grimpé à 80-100 millions de dollars. Aujourd’hui, certains budgets dépassent allégrement les 500 millions de dollars (marketing inclus), comme ce fut le cas avec le jeu Destiny. À ce niveau-là, l’échec n’est plus une option. Une erreur peut coûter la vie d'un studio et celle de nombreux employés. Et pour Ru Weerasuriya, ce modèle étouffe la créativité. L’industrie coûte trop cher pour être audacieuse.

L'herbe est-elle plus verte ailleurs ?
Lorsqu’il rejoint Oculus, une porte s’ouvre : la propriété intellectuelle. Là où Sony garde tout, Oculus laisse ses créateurs propriétaires de leur licence. C'est ce qui va se passer avec leur jeu Echo VR et pour Ru Weerasuriya, c'est à la fois une révolution personnelle et professionnelle. “Quand Jason Rubin m’a proposé de garder la licence, j’ai eu du mal à y croire”, confie-t-il. Le modèle change, la mentalité aussi. Et surtout : la liberté revient. Il y a dix ans, il savait déjà que créer son propre moteur maison allait devenir une folie coûteuse. Aujourd’hui, Unreal Engine 5 et le middleware redistribuent les cartes. Des jeux comme It Takes Two, Clair Obscur, Astro Bot, Expédition 33 prouvent qu’on peut toucher le public sans dépenser 200 millions. Et les joueurs changent aussi : moins fascinés par la 4K brutale, plus sensibles aux récits, aux mécaniques, aux mondes crédibles.

Pourquoi tant de jeux AAA semblent “vides” ?
Ce n’est pas une question d’incompétence, mais de prudence. À vouloir plaire à tout le monde, on finit par ne plus toucher personne. “C’est le McDo du jeu vidéo”, résume Ru Weerasuriya. Propre. Calibré. Digeste. Mais sans âme. Malgré cette lucidité, 2024 marque la fin pour le studio Ready At Dawn qui ferme ses portes après 20 ans d'activité. Une décision prise dès janvier, connue de trois ou quatre personnes seulement. Même certains piliers comme Andrea n’étaient pas au courant. Le choix est douloureux, l’équipe est épuisée, Ru Weerasuriya aussi. Il pense à prendre une année sabbatique, voire plus et peut-être même arrêter définitivement le jeu vidéo.

Retraite avouée, projet retrouvé
Mais l’ennui arrive plus vite que prévu, et c'est là que le destin va s'emmêler. Un vieil ami, Grégory Delfosse (ex-PlayStation France), le met en contact avec une connaissance commune, un créateur à la recherche d’un investisseur, un certain Nico Augusto, bien connu pour ses dérapages et ses projets douteux quand on tape son nom sur Google. D’abord prudent, Ru Weerasuriya décide d'investir. Puis conseille et il finit par s’impliquer et enfin de devenir co-fondateur du studio Atlantis. “Je regrette juste de ne pas avoir eu un an de plus pour finir The Order 1886 comme on l’avait imaginé. Mais je suis fier de ce qu’on a accompli. Et je ne perds pas espoir qu’un jour, cet univers revienne.” En attendant, une autre histoire est en train de s’écrire. Plus petite, plus libre aussi et surtout moins calibrée. Mais n'oublions pas que derrière, il y a la personne de Nico Augusto qui s'est aussi fait connaître pour ses vaporwares et ses tentatives un peu douteuses de faire le buzz. Wait & see comme on dit...

Atlantis Studio



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The Order 1886

Jeu : Action
Editeur : Sony Computer Entertainment
Développeur : Ready at Dawn Studios
20 Fév 2015

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