Première chose à préciser : non, Hell is Us n’est pas un Souls-like et ce n’est pas non plus un open world à proprement parler, les créatifs du jeu préfèrent parler de semi monde ouvert à la rigueur. À la place, Hell is Us cherche à se démarquer des autres jeux d’action-aventure en mettant l’accent sur l’enquête et la découverte, le tout avec une proposition forte dans les combats au corps-à-corps et dans une esthétique qui n’hésite pas à mélanger les genres. Parce que oui, dans Hell is Us, on va être constamment balancé entre médiéval et science-fiction, sur fond de guerre civile européenne des années 90. Un mélange des genres atypiques, mais c’est aussi en cela que le titre de Rogue Factor parvient à créer sa propre identité. Lors de mon interview avec Jonathan Jacques-Belletête, ce dernier n’a pas hésité à faire le parallèle avec l’histoire de l’Egypte, un pays avec une histoire profonde, qui a su faire des choses modernes et avant-gardistes qui restent des mystères aujourd’hui. Il parle évidemment de la construction des pyramides. Et puis le fait que le jeu se déroule dans une version alternative des années 90, avec un look tactique qui évoque un certain retour en arrière technologique, fait aussi référence au style de Hideo Kojima, en particulier à la série Metal Gear Solid, pour le mélange de temporalité et son design militaire avancé.
D’ailleurs, de quoi ça parle Hell is Us ? C’est un jeu qui nous transporte dans Hadea, une nation fictive ravagée par une guerre civile, coupée du monde au cœur des années 90. Le choix de partir sur un pays fictif est purement volontaire, car pour le créateur du jeu Jonathan Jacques-Belletête, ça permet d’éviter les problèmes d’appartenance à des conflits réels, surtout en ces temps de tension internationale. On incarne Rémi, un ancien soldat revenu clandestinement sur sa terre natale pour retrouver ses parents, après en avoir été exilé enfant. Son passé est trouble, ses souvenirs incertains et il veut à tout prix connaître ce qui lui est arrivé quand il était enfant. Son retour marque le début d’un périple étrange, fait de villages en ruine, de soldats brisés et de secrets enfouis, et dès les premiers instants, le ton est donné : corps pendus, marécages boueux, musique déprimante à base de violons mal accordés, l’ambiance est lourde, presque suffocante.
Et c’est un peu le but de Hell is Us, un jeu qui ne cherche jamais à ménager le joueur, symbole d’un certain renouveau dans le jeu vidéo. En fait, le monde de Hell is Us nous pousse constamment à observer, à écouter, à deviner et même à prendre des notes. Lors de notre session de hands-on lors de la Nacon Connect, les créatifs sont venus nous remettre un stylo et un calepin, car le jeu demande au joueur de retenir de lui-même les informations qu’il va glaner dans le monde de Hadea. Et c’est vrai que dans Hell is Us, un simple objectif basique comme récupérer une clé de moteur peut se transformer en quête tordue mêlant énigmes, exploration de tombeaux et dialogues cryptiques. Ici, pas de GPS, pas de carte, pas d’indicateur ou très très peu dans les environnements pour nous guider, c’est démerdenziziche comme dirait Monique. T’es grand, t’es un adulte, tu te démerdes ! D’ailleurs, lors des tests utilisateurs, les joueurs ont rapidement compris et apprécié cette approche débrouille, ce qui a encouragé l’équipe à continuer dans cette direction. On pourrait d’ailleurs croire à une nouvelle philosophie de game design, d’exploration libre, sans sur-guidage ni flèche directionnelle omniprésente, mais en réalité, il s’agit d’un retour en arrière, car Jonathan Jacques-Belletête, les jeux dans les années 80 et 90 ne nous aidaient pas plus non plus, ce à quoi j’ai répondu que les jeux d’autrefois étaient nettement plus balisé et que cette approche dans un monde semi open world s’inscrit comme une volonté de renouveau.
L’intention est de redonner de la confiance au joueur, de favoriser l’observation, l’écoute et la découverte par soi-même. Et d’ailleurs, en forçant les joueurs à regarder ce qui se passe autour de soi, ça permet aussi de ralentir le rythme, de profiter des environnements, et du travail des artistes par la même occasion, de ne pas enchaîner bêtement les missions les unes à la suite des autres, en suivant des icônes qui pourraient diminuer notre attention. De toutes les façons, tout Hell is Us a été bâti de la sorte, avec une écriture subtile, des dialogues qui donnent systématiquement des indices, mais sans forcément transformer chaque interaction en objectif de quête.
PAS UN SOULS-LIKE, NON
Au-delà de cette approche plus moderne dans son game design, Hell is Us est aussi un jeu exigeant dans ses combats. Je vous l’ai dit, les développeurs se refusent à dire que leur jeu est un Souls-like dans le sens où les combats ne seront pas trop punitifs, mais midcore, ni trop facile ni trop difficile. D’ailleurs, lors de notre session de test, la difficulté n’était pas encore ajustée correctement, les ennemis étaient bien plus coriaces que dans la version finale attendue, sachant que des options vous permettront de diminuer l’agressivité des ennemis. Et puisqu’on évoque les créatures du jeu, on peut se questionner sur leur design, leur look qui semble venir d’un film de science-fiction. Et il est vrai que Jonathan Jacques-Belletête n’hésite pas à citer des cinéastes comme Alex Garland comme inspiration.
Cependant, leur look ont une certaine spécificité et le créateur du jeu m’a confié que les ennemis ont été conçus comme étant des manifestations physiques d’émotions humaines. En fait, l’équipe a imaginé des créatures fractales, étranges, qui portent en elles une charge émotionnelle. C’est de là qu’est née l’idée du Hollow Walker, des sortes d’avatars émotionnels liés à l’expérience humaine par un cordon ombilical symbolique. C’est aussi pour cela que la base créative de ces créatures est identique, mais qu’elles vont se distinguer par d’autres attributs physiques, mais aussi leur façon de se mouvoir, de se déplacer et surtout d’attaquer.
"BLAME CANADA"
Pour se défendre face à ces bestioles venues d’ailleurs, Rémi utilise des armes blanches et uniquement des armes blanches, et ce, même si dans cet univers fictif, on croisera des factions avec des armes à feu. De toutes les façons, ces créatures mystiques sont insensibles aux balles et seul le tranchant de ces lames anciennes est capable de les terrasser. Rémi sera capable de manier plusieurs types d’armes, de la simple épée à des hallebardes, en passant par des double-haches et des lames rectangulaires, qu’il sera possible de faire évoluer bien sûr. Remi peut parer, esquiver et bien sûr varier les attaques, avec la possibilité de faire appel aux limbic skills, qu'il faudra trouver dans le jeu sous forme de glyphes et qui feront augmenter la puissance des armes. Et puis, Rémi peut aussi compter sur Kapi, ce drone qui sert à la fois de compagnon d’aventure, capable de traduire les écritures anciennes du pays Hadea, mais aussi de venir en aide lors des affrontements, soit en distrayant les ennemis, soit en lui octroyant d’autres actions. D’après Jonathan Jacques-Belletête, son équipe voulait développer leur propre expertise en combat à la troisième personne, c’est un domaine encore peu exploré au Canada et ce malgré la richesse de l’industrie, ce qui explique d’ailleurs pourquoi d’autres studios canadiens, notamment chez Ubisoft, sont un peu dépassés en matière de combats au corps-à-corps, car il y a un manque de compétences là-bas…
Concernant la technique, Hell is Us est un jeu qui séduit par sa patte artistique, et ce n’est pas un hasard si le jeu dégage un certain style techno-thriller par moments, Jacques-Belletête ayant été le directeur artistique sur Deus Ex: Human Revolution et Mankind Divided. La patte est là : cohérence visuelle, élégance dystopique, technologie rétrofuturiste, Hell is Us dégage une identité forte. Un peu moins par contre dans certaines animations, ce qui traduit un budget plus modeste. Le jeu reste cependant au-dessus de la moyenne, mais le résultat prouve qu’on est davantage du côté d’un AA que d’un AAA. De toutes les façons, le jeu a été pensé aussi vis-à-vis de son budget, avec une aventure qui devrait se plier entre 30 et 40h environ et un prix ajusté aussi pour l’occasion. Dans tous les cas, ces presque 4h passées avec Hell is Us confirme son statut d’outsider très intéressant, à surveiller de près, avec une approche audacieuse et surtout qui a pleinement conscience de l’évolution des mentalités dans le jeu vidéo. Et ça, c’est déjà un pari de gagné…