L'EFFET STREISAND
Il est généralement de mauvais augure lorsqu’un éditeur ou un studio choisit d’envoyer les codes de test à la presse le jour même de la sortie officielle d’un jeu. Une telle pratique suggère souvent un manque de confiance dans la qualité du produit final. Certes, il existe des contre-exemples notables : 2K Games, par exemple, adopte depuis plus d’une décennie cette politique avec sa licence NBA 2K, envoyant les clefs soit la veille, soit le jour de lancement, sans que cela ne nuise à la réputation ou à la qualité intrinsèque de la série. Toutefois, la norme reste bien différente : les productions de grande envergure sont habituellement distribuées à la critique avec une marge de une à quatre semaines, afin que l’évaluation puisse s’effectuer dans des conditions optimales. Des maisons telles que Sony ou Nintendo respectent scrupuleusement cette temporalité, témoignant par là d’un souci de professionnalisme et d’une confiance manifeste dans leurs titres. À titre d’exemple, au moment où j'écris ce texte, il s’est déjà écoulé quatre jours depuis que j’ai reçu Ghost of Yotei, dont la sortie n’est pourtant programmée qu’en octobre prochain. Ce geste illustre parfaitement l’assurance de Sony quant au potentiel de son jeu : offrir un tel délai aux journalistes revient à afficher une certitude quant à sa réception. La situation fut bien différente pour Lost Soul Aside, puisque ce n’est qu’au jour de son lancement que nous reçûmes les précieuses clefs numériques, accompagnées d’une communication pour le moins évasive.
Concernant ce titre, Sony a fait preuve d’une stratégie de dissimulation regrettable, puisque la firme s’est murée dans un silence gêné, refusant d’expliquer la cause de ce retard dans la distribution des versions presse. Ce n’est qu’à travers un message laconique sur le compte officiel du jeu que nous avons appris qu’un correctif « day one » était indispensable afin de pallier des problèmes d’optimisation et d’assurer une stabilité convenable. Voilà une justification somme toute raisonnable et assez courante, qui aurait pu être communiquée avec transparence et simplicité. Or, en refusant d’assumer cette difficulté technique qui est devenu une habitude dans cette industrie, l’éditeur a alimenté un climat de suspicion. Les rumeurs et les railleries se sont multipliées sur les réseaux sociaux, accentuant la défiance du public et transformant une imperfection excusable en scandale disproportionné. J’ai ainsi vu fleurir quantité de vidéos tournant en ridicule Lost Soul Aside, comme si le titre méritait un tel opprobre. Certes, il n’est pas l’œuvre magistrale promise depuis près d’une décennie, mais il ne saurait être réduit à des moqueries ni à un échec total. Ses lacunes sont réelles et palpables, mais son système de combat, riche et ingénieux, demeure indéniablement son plus grand atout.
ONE-CHINESE-MAN ARMY
Mais commençons par le commencement, parce que le jeu Lost Soul Aside est un projet à la fois atypique et un cas d’école également. Il avait tout pour devenir une success story touchante, mais il y a eu quelques ratés qui ont empêché cette belle destinée, des ratés qui auraient pu être anticipés à mon sens. Première chose à savoir, c’est que le projet remonte à 2014, à une époque où Lost Soul Aside ne s’appelait pas encore Lost Soul Aside et n’était encore qu’un passe-temps personnel. Yang Bing, son créateur, était passionné par les jeux d’action rapides, fluides et nerveux comme Devil May Cry et Bayonetta et il souhaitait donner vie aux idées qu’il avait en tête. Cette démarche était motivée avant tout par le plaisir de créer et d’expérimenter, sans attentes particulières. Donc, au départ, le développement de Lost Soul Aside était juste une manière pour Yang Bing d’apprendre paré lui-même. Mais en 2016, lorsqu’il publie le tout premier trailer, le buzz est immédiat et la vidéo fait des millions de vues, 4 millions pour être précis, au point où Sony voit en Yang Bing un potentiel de fou, et surtout la possibilité de porter leur programme China Hero Project sur le devant de la scène.
Il faudra néanmoins attendre quelques années encore avant que cette collaboration prenne forme et que Sony donne une équipe d’une trentaine de personnes à Yang Bing pour aller jusqu’au bout de ses idées. 2021 si je ne dis pas de bêtises… C’est ainsi qu’est né le studio Ultizero Games dont il est le CEO aujourd’hui. Yang Bing a d’ailleurs expliqué que ce fut assez difficile pour lui au départ, car du fait de son jeune âge et de son absence d’expérience dans le management, se retrouver à la tête d’un studio d’une trentaines de personnes qu’il doit diriger, tout en finalisant son jeu, ce fut souvent compliqué. Mais Sony PlayStation a été à ses côtés pour le soutenir et combler ce qui manquait sans doute le plus dans le jeu, à savoir développer une histoire, des personnages et sans doute une certaine narration. 
LES FAIBLESSES
Maintenant que le contexte est posé, passons au jeu en lui-même et comme je vous l’ai dit tout à l’heure, Lost Soul Aside est un jeu avec des qualités et pas mal de défauts aussi, mais ce n’est en aucun cas la catastrophe que beaucoup essaient de faire passer. Parmi les grosses faiblesses qui sautent immédiatement aux yeux, il y a les graphismes qui ne sont évidemment pas au niveau des standards actuels. Et forcément, avec un projet qui a débuté en 2014, il y a plus de 10 ans donc, et sur une autre génération de consoles, c’était assez difficile de faire des miracles à ce niveau-là. La modélisation des personnages manquent de conviction, les décors, surtout les premiers, sont assez basiques et surtout ils ne font pas rêver. C’est d’ailleurs parmi les erreurs que le jeu n’aurait pas dû faire, avoir fait commencer l’histoire dans cette ville morne, aux teintes grisâtres et à l’architecture industrielle déprimante. Il est évident que Yang Bing s’est inspiré de Midgar, et même si je trouve que la ville de Final Fantasy VII donne elle aussi aussi envie de se pendre, c’est un lieu iconique de l’un des RPG les plus appréciés du jeu vidéo. Et c’est tellement dommage parce que plus on avance dans le jeu et plus ce Lost Soul Aside nous surprend avec des environnements plus séduisants, comme ces ruines antiques qu’on parcours avec plaisir, ou ce village d’artistes martiaux juchés dans les montagnes où les érables rouges et jaunes marquent les esprits avec leurs feuilles colorées.
De l’autre côté, il faut aussi se taper tous les niveaux dans les dimensions alternatives, le fameux Voidrax, où le vide des décors contrastent pas mal avec les décors plus humains et plus chaleureux. Pourtant, il y a des passages qui flattent la rétine, mais cette redondance d’éléments rocheux, minéraux et ce côté si vide des décors finit par lasser. Il y a un déséquilibre évident, appuyé en plus par une direction artistique vraiment ratée. C’est vrai, il faut l’admettre, quand on regarde Lost Soul Aside, on a l’impression qu’il s’agit du fils illégitime de Devil May Cry et de Final Fantasy, avec une pléiade de personnages pas très intéressants, assez caricaturaux et parfois un brin énervants. Il a clairement manqué un Art Director à Los Soul Aside, quelqu’un qui aurait pu accompagner Yang Bing dans le design de ses personnages, mais aussi des monstres, souvent peu engageants, qui mélange bestioles chelou avec des entités cosmiques sorties de nulle part. Yang Bing a pris tout ce qu’il aimait, Devil May Cry, Final Fantasy, Bayonetta, Chevaliers du Zodiaque, il a tout mis ensemble, il a secoué bien fort pour nous livrer un truc pas très homogène, un peu difforme et qui a donné lieu à pas mal de moqueries sur Internet.
Et c’est vrai que parfois, il est difficile de ne pas donner raison aux internautes, surtout que certains aspects, comme le doublage anglais ne joue pas en faveur du jeu. Si jamais vous achetez Lost Soul Aside, par pitié, choisissez la VO, c’est-à-dire le Chinois, ou au pire le Japonais qui est également réussi, mais surtout pas les voix anglaises, qui sont d’un ridicule sans nom. Ça me rappelle l’époque des films de Hong Kong qui débarquaient en Occident dans les années 90, avec des doublages moisis, faits par-dessus la jambe, sans aucune conviction. On est dans le même délire avec Lost Soul Aside. C’est là où à mon sens PlayStation a mal joué son rôle. Yang Bing aurait dû être mieux accompagné sur ces aspects créatifs, c’est dommage de ne pas l’avoir mieux guidé. On pourrait aussi parler de l’histoire qui n’est pas très palpitante, assez classique dans sa proposition et sa narration, mais très franchement, on a vu bien pire et ce n’est pas le plus grave dans ce jeu. 
LES FORCES
Ça fait pas mal de défauts et Lost Soul Aside part avec un sacré handicap c’est vrai, mais fort heureusement, il lui reste son gameplay et ce qui est sans doute le plus important dans un jeu vidéo. Et de ce point de vue-là, le jeu de Yang Bing ne déçoit pas, il surprend même par son système de combat qui ne cesse de s’enrichir au fil de la vingtaine d’heures nécessaires pour finir l’aventure. En fait, le cœur du gameplay repose sur cette manière à enchaîner les attaques à la vitesse de la lumière, un peu à la manière de Devil May Cry et de Bayonetta. Lost Soul Aside s’en inspire et ne s’en cache pas, et base ses mécaniques de combo sur les quatre armes dont disposer Kaser, le héros du jeu. Des armes qu’il va évidemment débloquer au fil de la progression et des boss qu’il va déglinguer. Il y a pour commencer L’épée longue, plutôt équilibrée, et qui offre des combos fluides et spectaculaires, tout en permettant des attaques à distance, ce qui en fait une arme polyvalente pour tous les types de combats.
Ensuite, on débloque la grande épée, celle qui se tient à deux mains, mais que Kaser peut soulever aussi à bout de bras s’il le veut. Elle est évidemment lente mais bien puissante, et il fait privilégier les coups chargés et la garde breaker pour punir les ennemis comme il faut et renforcer le côté stratégique des combats.
La troisième arme qu’on obtient après une dizaine d’heures de jeu, c’est la double lance, rapide et technique, elle permet d’enchaîner un grand nombre de coups pour briser la posture ennemie et déclencher un mode “dogfight” aérien, transformant certains combats en véritables ballets aériens. En revanche, elle génère moin de dégâts chez l’ennemi. Et enfin, 4è et dernière arme, il s’agit de la faux, qui est de loin l’arme la plus complexe, et qui offre un potentiel stratégique inédit, puisqu’elle permet de prolonger les combos en manipulant la position des ennemis et de réinitialiser les actions aériennes des autres armes.
Et comme on peut switcher d’armes à la volée, vous imaginez que les possibilités sont alors multipliées par quatre, à condition d’avoir les yeux qui suivent l’action, car Lost Soul Aside va vite, très vite, trop vite pour certains. Mais si vous avez le skill nécessaire pour tout voir, alors le plaisir devient immédiat, jouissif et en vrai assez accessible puisque même si le jeu se base sur un système d’endurance, le fait qu’elle se recharge très rapidement handicape le joueur le moins possible. C’est d’autant plus vrai que l’accessibilité du système de combat est renforcée par des mécaniques de parade parfaite qui rappelle le Witch Time de Bayonetta, qui permet de récompenser les réflexes précis, même pour les joueurs débutants, simplement en ralentissant l’action. Et puis, Lost Soul Aside introduit aussi un système d’aide pour assister le joueur après plusieurs morts. Si jamais vous enchaînez trop les game over, le jeu va s’adapter à vous et vous offrir un équipement amélioré pour survivre et transformer le premier run en expérience plus abordable, tout en conservant la satisfaction de la progression. C’est plutôt malin.
TOO MUCH
Mais ce n’est pas tout, Arena, votre compagnon draconique va également booster les capacités de de Kaser, en lui octroyant des pouvoirs, comme la possibilité de se transformer en Super Sayajin le temps de quelques secondes et déployer des attaques plus agressives, plus spectaculaires aussi et qui font plus de dégâts. Sinon, la variété des ennemis contribue également à la richesse du gameplay et même si leur design est globalement assez discutable en termes de DA, ils proposent des patterns assez intéressants. Vous avez certainement vu certaines créatures ne rien faire et attendre bêtement que Kaser leur tape dessus, il s’agit de séquences qui ont lieu au tout début du jeu, avec un difficulté amoindrie, car je peux vous garantir que plus vous allez avancer dans le jeu et plus les ennemis ne vous feront aucun cadeau. Pensez bien à gérer vos potions avant de lancer dans certains combats, car ça devient retors vers la fin. Lost Soul Aside n’hésite pas non plus à apporter sa touche RPG avec des compétences pour chaque arme, qui vont débloquer de nouvelles attaques, renforcer leur puissance, permettre de porter plus de fioles avec soi, rajouter des bonus sur les armes avec des emblèmes à poser sur les armes. Bref, c’est très complet et une fois qu’on a terminé le jeu, le endgame permet de créer un vrai build pensé pour réaliser des combos de fou-malade, tout en ayant le maximum de puissance.
Evidemment, Lost Soul Aside a aussi cédé aux phases de plateformes et aux séquence de puzzles pour varier le gameplay. Si les énigmes sont plutôt sympa, rarement compliquées et plutôt bienvenues, le moments où il faut jouer avec les plateformes deviennent plus compliquées. Notre héros Kaser ayant une physique un peu flottante du fait de ses nombreuses possibilités de combo aérien, ce n’est pas le mec le plus agile pour sauter de plateforme en plateforme, et certaines phases risquent de vous faire grincer des dents. Rien d’insurmontable, mais très dispensable en vrai. On a vu mieux dans le genre évidemment, mais je vous rassure, ses séquences ne sont pas trop nombreuses. Non, ce qui est dommage, c’est que la structure action, puzzle et plateforme manque d’équilibre et tourne finalement assez en rond. Mais encore une fois, rien de bien dramatique, les premiers Devil May Cry et Bayonetta sont aussi passés par ces phases pas toujours très convaincantes et il a fallu plusieurs épisodes pour que la série trouve le bon équilibre et la bonne formule.
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