Les premières minutes de Cronos The New Dawn captent immédiatement l’attention. Sans s’attarder sur des explications superflues, le jeu nous plonge dans une Pologne post-apocalyptique, où chaque recoin respire l’hostilité. C’est sombre, c’est froid, c’est pesant, l’atmosphère dégage quelque chose de marquant et le fait de se retrouver dans un pays qui a rarement été dépeint dans le jeu vidéo, ça force cette sensation de nouveauté. Et puis, il y a aussi notre personnage principal, qui est en réalité une femme. Pas évident de le distinguer à première vue avec cette armure et ce casque énorme, qui rappelle un scaphandre, même si je suis certain que les développeurs de Bloober Team n’ont pas créé ce design au hasard. Toujours est-il que cette femme se fait appeler la Voyageuse et qu’elle aussi participe à ce côté peu chaleureux de l’univers. Déjà parce qu’elle est dénuée d’émotions, qu’elle parle comme une IA, qu’elle a le pas lourd et que les rares moments où elle cause, c’est pour nous donner des informations très basiques sur son état de santé, son inventaire et que sais-je. Bref, c’est une taiseuse et en vrai, c’est pas plus mal.
Dans tous les cas, cette direction artistique qui mélange esthétique rétro-futuriste des années 80 très soviétique façon Metro à une atmosphère oppressante qui rappelle Dead Space est intéressante à plus d’un titre et fait partie des grandes forces de Cronos : elle donne aussi le sentiment de se retrouver dans un lieu hors du temps, comme une espèce de mélange entre l’espace et les fonds marins, d’autant que certains passages en apesanteur renforce ce sentiment de claustrophobie et de flottaison. Et puis, il y a aussi ces bâtiments abandonnés, délabrés, laissés en désuétude, accentués par des anomalies temporelles qui fragmentent l’espace et désorientent le joueur. C’est vrai qu’au départ, ça fonctionne super bien, d’autant que l’expérience acquise avec le remake de Silent Hill 2 et sa brume omniprésente a également été utilisée dans ce Cronos The New Dawn. Il y a de toutes les façons énormément de références, d’inspirations et même du copier-coller dans le dernier jeu de Bloober Team. Silent Hill et Resident Evil pour l’ambiance, Dead Space pour le gameplay, mais aussi L’Armée des 12 Singes pour l’histoire et The Thing pour les créatures et certaines situations. C’est appréciable, mais ces références ultra marquées et ultra visibles sont aussi ce qui empêche Cronos d’avoir sa propre singularité, car le jeu est beaucoup trop prévisible et scolaire dans sa proposition. Je vais évidemment développer.
Les développeurs de Bloober Team ne s’en sont d’ailleurs jamais cachés : c’est leur amour et leur respect pour Dead Space qui les a poussé à reprendre les principales mécaniques du jeu d’Electronic Arts. Personnage en combinaison dont on ne sait pas grand-chose au départ, ambiance froide, limite clinique, déplacements lourds et un brin rigides aussi il faut le dire, combats au corps-à-corps limité à une seule mandale, possibilité d’écraser le corps des ennemis avec ses grosses bottes métalliques et une arme qu’on va faire évoluer en ajoutant des modules pour ensuite balancer des tirs chargés, on est évidemment plus proche du copier-coller que de l’inspiration. Mais ce qui fonctionnait du tonnerre en 2008 lors de la sortie du premier Dead Space a pris du plomb dans l’aile 17 ans plus tard, surtout que d’autres survival horror sont venus apporter leur pierre à l’édifice, The Callisto Protocol pour ne citer que lui et qu’on défendra bec et ongles, lui que beaucoup de personnes ont mésestimé. Tout cela pour dire que oui, en 2025, arriver avec une telle proposition aussi limitée et rigide n’est plus vraiment recevable, volonté de lorgner sur la nostalgie des premiers survival horror prise en compte.
Et puis surtout, ce gameplay old school de Cronos The New Dawn n’est pas en adéquation avec ce qui se passe réellement à l’écran. Dans un jeu où les ennemis ne cessent d’attaquer au corps-à-corps et où la fuite est souvent recommandée par manque de ressources et de munitions, notre Voyageuse ne dispose pas des mouvements pour faire face à la menace. Pas de mouvements d’esquive, pas de dash non plus qui aurait été bienvenu, une seule mandale possible pour repousser l’ennemi, surtout que l’animation des mouvements prend un temps fou pour se réinitialiser, on a le temps de se faire déchiqueter le gosier si jamais on n’a pas anticipé. Résultat, on passe le plus clair de son temps à zigzaguer dans les niveaux, évitant les obstacles et les ennemis pour ne pas finir la coque percée, et tout cela crée de la frustration. Pour le coup, Bloober Team aurait dû s’inspirer de The Callisto Protocol et faire du combat melee une autre composante de son gameplay.
Pourtant, sur le papier, Cronos se caractérise par une approche assez méthodique, voire exigeante si on n’est pas suffisamment préparé. Les combats sont en effet punitifs et chaque décision compte, puisque la gestion des munitions et des soins impose une réflexion constante, similaire à l’économie de ressources dans les premiers Resident Evil, mais elle est ici accentuée par des mécaniques de survie plus rigides. En fait, dans sa progression, Cronos a mis en place des ‘safe zones’ qui permettent de relâcher la pression et surtout de faire évoluer son personnage, ses armes, ses munitions et sauvegarder par la même occasion. C’est du Resident Evil à l’ancienne et ça pousse le joueur à faire des allers-retours incessants pour limiter les dégâts. En 2025, c’est quand même un peu limite ce genre de game design. Il y a pourtant quelques idées sympas qui viennent agrémenter l’aventure, comme cette mécanique d’anti-gravité qui intervient vers la moitié du jeu et qui offre au jeu une exploration verticale et la possibilité d’interagir avec l’environnement de manière originale, mais ces éléments restent sporadiques et ne suffisent pas à transformer le rythme global, qui est trop lent et souvent répétitif. Sans doute aussi parce que les décors manquent de vraie variété, qu’on reste coincé dans ces bâtiments délabrés, sombres et qu’on aurait aimé aussi un peu plus de folie des puzzles environnementaux, beaucoup trop simples et souvent scolaires également.
L’autre grande déception de ce Cronos, ce sont les ennemis, ou plutôt ces créatures qui ne se renouvellent quasiment pas durant toute l’aventure. Il y a bien certains boss qui apportent de la fraîcheur dans leur design et leur approche, mais c’est trop peu sur la vingtaine d’heures de jeu pour finir l’aventure. Quant à la fusion, qui a pourtant été décrite comme l’élément principal du gameplay n’est finalement pas à la hauteur. Concrètement, chaque corps au sol peut devenir une source d’évolution pour ces créatures visqueuses, ce qui booste leur physique, leur puissance et surtout leur rapidité. Là encore, on se sent souvent impuissant face à leurs attaques et c’est souvent là que jaillit la panique quand on est encerclé. C’est là où Cronos manque le coche, dans cette absence de mouvements plus souples qui auraient injecté du vrai challenge dans les affrontements et non de la frustration. Car de toutes les façons, le level design est tellement prévisible dans sa construction (des corps au sol, des bidons explosifs suffisent pour alerter les zones de combat) et si pénible dans ses lieux exiguës qu’on est déjà agacé avant même que ça ne commence.
C’est dommage parce que Cronos a des choses intéressantes à nous raconter, même si la narration est trop fragmentée. Le récit explore des thèmes profonds tels que la catastrophe collective, la temporalité et la responsabilité individuelle. Cette notion d'absorption des âmes qui a un impact sur le psyché de notre Voyageuse est assez comparable à la manière dont Silent Hill 2 utilisait le trauma et la culpabilité pour construire la psychologie du personnage principal. Malheureusement, si cette densité thématique est indéniablement originale, elle se heurte à la prévisibilité de la fin, ce qui dilue une partie de l’impact émotionnel. Et ce n’est pas parce qu’il y a 3 fins possibles que c’est plus intéressant. Au contraire, il aurait été plus couillu de ne pas laisser le choix au joueur, mais d’assumer une position claire sur les agissements de la Voyageuse.
Pour autant, Cronos conserve des qualités indéniables. La cohérence de son univers, l’atmosphère immersive et ces moments de stress prouve que Bloober Team connaît ses classiques, et adopte une grammaire de l’horreur avec soin. Mais le véritable enjeu pour le studio polonais, c’est de désormais proposer ses propres idées originales, ne pas systématiquement s’appuyer sur ses pairs pour essayer de faire aussi bien. Suivre, c’est bien. Surprendre, c’est mieux.