Alors avant de partir dans l’abîme de cette critique de John Wick 4, je voulais vous expliquer mon rapport avec la franchise, ce que j’en pense mais aussi ma culture sur les films du genre. Etant un adolescent des années 90, j’ai grandi avec les films d’action de Hong-Kong. John Woo, Tsui Hark, Johnnie To, Ringo Lam, Corey Yuen, Yuen Wo Ping et bien sûr Wilson Yip, à la maison, avec mon père, c’était le cinéma asiat dans tous ses genres, bien avant le cinéma américain. Et puisque j’ai été biberonné à ce cinéma-là, disons qu’il me faut plus que trois Mawashigeri et des saltos arrière pour m’impressionner. C’est encore plus flagrant quand les Américains tentent de faire des films de tape, c’est rarement au niveau et c’est souvent pas bien filmé. Surtout que depuis une vingtaine d’années, le cinéma thaïlandais et indonésien a pris la relève, et eux en matière de fight, ils sont passés dans une autre dimension. C’est la raison pour laquelle les John Wick ne m’ont jamais vraiment emballé...
J’admets que le premier proposait quelque chose d’assez original, avec cette envie de tenter quelque chose, mais il lui manquait cette petite étincelle pour franchir un cap. John Wick 2 aura permis justement de prendre plus d’ampleur, grâce à un budget plus conséquent, mais il manquait des antagonistes dignes d’intérêt pour que la formule fonctionne à plein régime. C’est du coup ce que Chad Stahelski a fait pour l’épisode 3 Parabellum, qui s’est carrément offert les services de Yayan Ruhian et Cecef Arif Ahman, deux experts du Penchak Silat qu’on a pu voir notamment dans The Raid 1 et 2. Bref, des pointures et que je considère comme les meilleurs dans le domaine aujourd’hui, au-dessus même d’Iko Uwais et de Joe Taslim. Donc dans John Wick 3, on a ses deux monstres à l’écran pour affronter Keanu Reeves, mais le résultat sera malheureusement déceptif à mort. Pourquoi ? Parce que Chad Stahelski a fait deux erreurs à mon sens. La première, c’est d’aller choisir directement les meilleurs de la planète d’entrée de jeu, et en sus, les faire affronter en duo un Keanu Reeves, certes investi, mais franchement pas à la hauteur. Autant le combat final avec Mark Dacascos passe plutôt crème, autant celui avec les acteurs de The Raid 1 et 2 ne fonctionne pas. Le combat est mou, trop chorégraphié et on ressent que Yayan Ruhian et Cecef Arif Ahman sont dans la retenue permanente. Il y a un décalage énorme et perso, ça m’a complètement sorti du film.
Pour John Wick 4, Chad Stahelski a été plus malin, et je le félicite pour ça d’ailleurs, puisqu’il a décidé de faire appel à deux autres experts des arts martiaux : Scott Adkins et Donnie Yen. Scott Adkins est assez méconnu du grand public, mais les fans de films de tape le connaissent bien. Il a démarré comme doublure cascade dans de grands films de genre, ce qui lui a permis de travailler avec Jackie Chan, Jet Li ou bien Matt Damon, notamment sur la franchise Jason Bourne. Il a aussi participé à d’autres films en tant qu’acteur, mais ils sont restés assez confidentiels. D’ailleurs, dans John Wick 4, il est méconnaissable dans le film, puisqu’il incarne le chef obèse de la branche allemande de la Grande Table. Et justement, c’est là que le génie de Chad Stahelski entre en jeu, puisque je pense qu’il a compris ce qui n’avait pas fonctionné dans John Wick 3 avec des adversaires bien trop puissants. Du coup, il a décidé d’intégrer des handicaps physiques aux adversaires de John Wick pour rééquilibrer les forces entre des acteurs experts en arts martiaux et un Keanu Reeves moins performant, mais néanmoins super investi, et ça il faut le souligner.
On a donc Scott Adkins qui incarne un personnage ventripotent, mais néanmoins capable de faire des high kicks et de bien te marave la gueule, et Donnie Yen qui interprète Caine, un assassin aveugle, mais qui n’en demeure pas moins ultra dangereux malgré son handicap. Et là où Chad Stahelski va être plus intelligent que n’importe quel autre réal, c’est qu’il va mettre à profit cet handicap. Vous savez, généralement, dans les films de ce genre, les mecs aveugles qui savent se taper, réalisent des prouesses de malade, comme s’ils n’étaient pas aveugles in fine. L’exemple le plus flagrant étant Daredevil évidemment. Là, dans John Wick 4, Caine a besoin de se situer dans l’espace pour être à niveau et c’est avec sa cane qu’il va gérer l’espace, mais aussi sa faculté à mieux entendre que la moyenne. Ça m’a rappelé un peu le Zatoichi de Kitano mais avec encore plus de maladresse et d’humanité, puisqu’il n’est pas rare de voir le personnage de Donnie Yen taper dans le vide, ou être déstabilisé dans certaines situations. C’est ça qui rend les scènes plus excitantes, via ces failles dans ces personnages, comme ceux des films de Jackie Chan où il pouvait faillir et prendre des patates en pleine gueule aussi.
Dans tous les cas, Chad Stahelski a su parfaitement utiliser Donnie Yen, qui est à la fois un antagoniste, mais aussi un allié de John Wick, ce qui signifie qu’on va aussi profiter de lui dans des scènes majeures, comme celle où il se bat contre Shimazu, le personnage joué par Hiroyuki Sanada. D’ailleurs, on peut parler de toute la partie au Japon ? Il faut qu’on parle des séquences à Osaka. C’est là-bas que démarre le film, et dès le départ, on nous met dans cette ambiance incroyable, avec une photographique d’une beauté hallucinante, faite de néons et de flash lumineux. La première séquence d'action est assez folle et permet surtout de donner le ton sur ce que le film va nous livrer au fil des 2h50 nécessaires pour que John Wick puisse gravir les 222 marches qui mènent au Sacré-Cœur. D’entrée de jeu, Chad Stahelski veut nous montrer ce dont il est capable avec un mélange d’armes à feu, de flèchent qui tentent de perforer les armures et les costards en kevlar, les katanas dont le bruit des lames qui s’entrechoquent viennent chanter dans nos oreilles et bien sûr, des coups de tatanes, plein, avec une brutalité excessive et un caractère absolument jouissif. D’ailleurs, mention spéciale à Rina Sawayama, qui interprète la concierge de l’hotel d’Osaka, dont c’est le premier rôle au cinéma, mais arrive à briller par son charisme, son jeu d’actrice impeccable et surtout ses scènes d’action très crédible pour une première. Julien Chen, la princesse dans Astérix et Obélix l’Empire du Milieu devrait en prendre de la graine...
Mais au-delà de ces scènes d’action brutales où le sang gicle et les os craquent, John Wick 4 prend une autre dimension dans sa mise en scène et cette envie de faire plaisir au public, à son public, celui qui est là pour la castagne. Les scènes d’action et de tape sont longues, souvent en plan-séquence, sans cut, sans subterfuge avec le défi pour ses acteurs et cascadeurs de réussir chaque scène du début à la fin. La cascade à la fin du film sur les marches du Sacré-Cœur cristallise d’ailleurs toute cette notion de brutalité et d’authenticité. Cette scène-là, elle est sacrément zinzin, du nectare d’adrénaline et de plaisir ultime. Bref, ça faisait bien longtemps que je n’avais pas vu des scènes d’action filmées avec autant de passion, avec respect du spectateur et cette envie de réaliser des prouesses incroyables. Même le cinéma de tape de HK d’aujourd’hui ne tourne plus comme ça, triche dans tous les sens, coupe à tout va, comme s’il avait envie de copier ce que Hollywood fait de pire aujourd’hui. Alors oui, il reste l’Indonésie, et heureusement qu’ils sont là pour donner le ton et tirer le cinéma de fight vers le haut. D’ailleurs, si jamais vous êtes sensibles à ce genre de film, je vous conseille The Night Come For Us avec Joe Taslim et Uko Uwais, disponible sur Netflix, la série Warrior et The Swordsman.
Alors attention, tout n’est pas parfait dans John Wick 4, loin de là, certains lui trouveront d’ailleurs des longueurs. C’est pas faux, mais le film se veut tellement généreux avec le spectateur qu’on ne peut pas lui en vouloir cet élan de bonté. Non, en fait, parmi les défauts du film, on retrouve certaines scènes d’action qui fonctionnent beaucoup moins bien que d’autres. Le passage où Keanu Reeves utilise des nunchakus par exemple manque de conviction pour qu’on qu’on adhère à la proposition. Je sais que Keanu Reeves s’est entraîné dur, mais comme il ne maîtrise pas totalement l’arme, on sent qu’il est davantage concentré sur sa chorégraphie, plus que la scène en elle-même, et ça créé un décalage assez flagrant.
Il y a en revanche deux personnages qui sont décevants dans le film : le Marquis de Gramont incarné par Bill Skarsgard, bien trop binaire dans son traitement, parce que même si on est dans un John Wick, il y avait moyen d’en faire un antagoniste plus nuancé, ou à l’inverse encore plus vénère. Quitte à jouer la carte du manichéisme, autant y aller franco. Et puis bon sang, le personnage est censé être français et quand il aligne des mots dans la langue de Molière, c’est la catastrophe, on ne le comprend pas. On aurait dit Zlatan dans le dernier Astérix et Obélix, qui nécessitait des sous-titres. C’est clairement l’un des persos les plus ratés du film, et très franchement, j’aurais adoré voir Vincent Cassel dans le rôle de cet aristocrate un peu trop sûr de lui. Il y a aussi Mister No Name, alias le Traqueur, incarné par Shamier Anderson, acteur peu connu et qui ne m’a guère convaincu dans sa prestation. Alors lui, ce n’est pas tout à fait de sa faute, parce que son personnage est très mal écrit et surtout mal positionné. Il s’agit d’un mercenaire, une sorte free agent qui va essayer de profiter de la situation et de la traque de John Wick pour essayer de se faire une place dans tout ce joyeux chaos et tenter de repartir avec des sous-sous dans la popoche. Le problème, c’est que le mec joue la girouette en permanence, sans réel impact dans le dénouement des événements et n’a pas non plus de scène mémorable. Ok, il se bat avec un berger-malinois et son shotgun, mais on l’aurait retiré du film, c’était la même.
En revanche, là où John Wick 4 réussit son tour de force, et lui permet de surclasser les autres épisodes de la franchise, c’est qu’il s’assume enfin en tant que tel, à savoir un film d’action décomplexé de tout réalisme, ouvrant alors le champ des possibles. Alors oui, c’était déjà le cas dans les précédents John Wick, mais là, l’action est débridée, stylisée et ce second degré qui lui manquait pour briller totalement. Preuve d’ailleurs que le film s’émancipe de son propre statut, c’est cette fameuse scène en vue top shot, qui intervient vers les ¾ du film et qui fait référence au jeu vidéo de manière générale, mais à un jeu vidéo en particulier. Evidemment, le premier quidam pensera qu'il s'agit d'un hommage au jeu vidéo John Wick Hex sorti en 2019, alors que pas du tout. Non, c’est une référence à Hong Kong Massacre, sorti lui aussi en 2019 et qui est un mélange entre Hotline Miami, Max Payne et bien sûr tous les films de John Woo dont il fait référence. La scène du restaurant par exemple, qui renvoie à la séquence du salon de thé dans Hard Boiled, A toute épreuve en VF. Une séquence absolument jouissive, visuellement maîtrisé et qui a été l’une des séquences les plus compliqués à mettre en place. D’ailleurs, j’en ai parlé avec Chad Stahelski.
Je pourrai continuer encore longtemps de vous parler de ce John Wick 4, de ses références au cinéma de Hong Kong et asiatique de manière générale, de ses scènes d’action zinzin (celle sur le rond-point des Champs Elysées est pas mal aussi, même si elle a été entièrement tourné dans un hangar en Allemagne, puis incrustré en effet numérique, ça se voit d’ailleurs), mais le mieux à faire c’est d’aller le voir. Foncez, c’est du pur cinéma comme on aime, c’est le meilleur épisode de la franchise, le plus long (2h50), le plus généreux, le plus fou, le mieux maîtrisé et surtout le plus passionnant. OK, il arrive qu’il ne parvienne pas toujours à atteindre la finesse et la fluidité du cinéma asiatique dont il s'inspire, et encore, ça dépend de quels films on parle, parce que je le répète, y a des films asiat aujourd’hui qui n’ont plus le niveau de John Wick 4 aujourd’hui. On sort presque lessivé de cette expérience, mais elle vaut largement le coup et c’est peut-être le dernier avant très longtemps, car Keanu Reeves et Chad ont décidé de faire une pause. Il y a bien Ballerina, le spin off féminin avec Ana de Armas, mais sincèrement, on a très peur du résultat. John Wick fera d’ailleurs une apparition, puisqu'il a tourné pendant une semaine. On jugera évidemment le moment venu.
NOTRE NOTE : 8.5/10