Depuis plus de vingt ans, la série Mafia occupe une place assez particulière dans le monde du jeu vidéo. Apparue quelques années après le succès de GTA, elle a néanmoins su prendre une autre voie, celle du jeu linéaire narratif, là où son concurrent principal de l'époque, GTA, a bâti sa légende sur la liberté et la profusion d’activités. En fait, Mafia s’est distingué par une approche presque inverse : un faux monde ouvert servant surtout de décor à une narration cinématographique. L’illusion d’un espace de liberté n’était qu’un écrin pour un récit très scripté sur des gangsters, inspiré davantage par le cinéma de Coppola ou de Scorsese que par les ambitions ludiques des productions de Rockstar Games. Et malheureusement, cet équilibre fragile a volé en éclats avec Mafia III en 2016, lorsque Hangar 13 a voulu embrasser pleinement la formule de l'open world, mais sans le savoir-faire des créateurs de GTA. Le résultat fut un jeu répétitif, mécaniquement pauvre et narrativement inégal, qui mit à mal la réputation de la franchise. Dès lors, la survie de la licence passait par une redéfinition de ses fondations. De fait, Mafia The Old Country se présente ainsi comme un retour aux sources, non seulement géographique (en Italie, au cœur de la Sicile du début du XXème siècle) mais aussi structurelle, à savoir un récit linéaire, sobre mais maîtrisé. Oui, il s’agit bien d’une préquelle, et oui, il existe des liens étroits entre les personnages, familles, lieux et autres éléments de The Old Country et ce que nous avons vu dans les précédents jeux. En somme, on nous propose une histoire d’origine pour toute la franchise. Faut-il avoir joué aux autres épisodes pour apprécier celui-ci ? Pas du tout. Même si c’est recommandé pour mieux saisir les références, l’histoire fonctionne parfaitement de manière autonome. De bien belles décisions en ces temps où la surabandonce de jeux à monde ouvert lasse les joueurs, mais pourtant, derrière cette décision se cache des failles assez évidentes qu'on a vu arriver au fil des trailers et de l'absence de previews organisées par 2K Games. Entre l’exigence d’innover et la peur de décevoir, le jeu a choisi la sécurité, avec une formule d'antan, celle qu'on pouvait accepter il y a 15 ans, mais beaucoup moins maintenant...
BRAQUAGE À L'ITALIENNE
Mafia The Old Country raconte l’histoire d’Enzo, un jeune homme vendu en esclavage dans une mine de soufre en Sicile au début des années 1900. Après une audacieuse évasion face à ses geôliers, la famiglia Spadaro, il se retrouve sur les terres de Don Torissi, qui le sauve de ses poursuivants, avec lesquels il est en guerre depuis des années. Enzo commence à travailler comme ouvrier agricole, mais se retrouve rapidement entraîné dans une vie de crime, de violence et de pouvoir, bref celle d'un vrai mafieux. Le fait-il par choix ou par survie ? Il faut évidemment aller au bout de l'histoire pour en avoir le coeur net. Cela dit, placer l’action en Sicile au début des années 1900 n’est pas un choix anodin, car l’histoire de la mafia moderne trouve ses racines dans cette ère marquée par la pauvreté, l’exode, la domination de clans et l’emprise d’un catholicisme omniprésent. En incarnant Enzo Favara, ce jeune mineur révolté contre son destin, le joueur découvre non seulement un parcours individuel mais aussi une genèse collective : celle de la mafia elle-même. Le village fictif de San Celeste, déjà entraperçu dans Mafia 2, fonctionne comme une référence, puisqu'il relie les origines de la saga à ce nouvel épisode. Et c'est plutôt malin, parce que ça permet de raccrocher les wagons avec les premiers épisodes, chers aux joueurs de la première heure. L’histoire est probablement le meilleur aspect de Mafia The Old Country, qui n'hésite pas à puiser dans les films que Hollywood nous a servi sur la pègre ces 40 dernières années. Il y a d'ailleurs un soin tout particulier qui a été apporté à l'écriture des personnages, et le scénario parvient à créer des personnages vraiment attachants, malgré le fait qu’ils soient tous, à différents degrés, des criminels. Le récit tente d’aborder des idées complexes autour de la morale et de la manière dont l’injustice peut être compensée par une criminalité « justifiable », d'où l'importance des guillemets. On passe donc de victime de la violence et des abus à celui qui les inflige, mais pour de « bonnes » raisons et l'histoire ne sombre pas dans le manichéisme facile, même si on va retrouver des galeries de personnages assez classiques pour un film de mafia. Il n’y a pas de véritables « gentils » dans cette histoire, mais une multitude de personnages moralement ambigus, tous incroyablement charmants et attachants. Le seul point noir qu'on pourrai pointer du doigt, c'est une histoire un peu cousu de fil blanc : on devine trop facilement les événements qui vont suivre et le dénouement final. Rien de bien grave non plus, car c'est bien raconté, mais un peu plus d'audace aurait été la bienvenue.
LIGNE DROITE ET APPROXIMATION
Comme évoqué précédemment, suivre les tendances peut être dangereux, surtout quand on a ni les outils, ni le financement et encore moins le talent. Depuis plusieurs années, les jeux open world dominent l’industrie, c'est même devenu la base de tout AAA qui se respecte, comme si toute grosse production devait obligatoirement en proposer un. Cela a conduit à des échecs, et Mafia en a fait les frais avec Mafia III, vous l'avez compris. Conscients de cela, le studio Hangar 13 a décidé de rendre Mafia The Old Country totalement linéaire, un jeu où l'on enchaîne les chapitres avec des objectifs clairs et sans fioriture. Pas de missions annexes, pas de quêtes inutiles, tout se fait en ligne droite, même si la Sicile reste un espace ouvert qu'on peut même explorer un peu librement par moments, notamment pour trouver des objets à collectionner, mais rien de plus. Le jeu assume donc son côté linéaire, et justement, le choix de renoncer au monde ouvert pour revenir à une structure linéaire était judicieux, puisque la saga Mafia n’a jamais brillé par ses mécaniques d’exploration, et Hangar 13 l’a bien compris. La Sicile sert ici de toile de fond cohérente, interconnectée mais sans ambitions d’immensité.
Or, si cette linéarité clarifie la progression, elle met aussi en lumière la banalité du gameplay, voire même son côté old school et par moments très bancal. Que ce soit les gunfights, l'infiltration et même les déplacements, on sent le poids des années qui plombent ce Mafia The Old Country. Les fusillades manquent de sensations, de recul et de précision, les ennemis sont en réalité des sacs à PV qui peuvent se manger 3 coups de shotgun dans le bide sans rien craine, et seul les headshots permettent de les abattre d'un seul coup. Même le cover system manque de souplesse dans ses manoeuvres. On ne vous parle même pas des séquences en infiltration nous renvoient à l'époque des premiers Splinter Cell, avec en prime une IA ennemie complètement à la ramasse. C'est simple, les gardes ne voient rien et vous pouvez faire autant de bruit ou de cabrioles du moment que vous êtes en dehors de leur zone de couverture ultra limitée, ils n'y verront que du feu. Pourtant, le jeu a été bâti sur la complémentarité stealth / gunfight, mais tout étant approximatif, on se demande parfois pourquoi on s'emmerde à étrangler les ennemis par derrière, alors qu'un coup de couteau dans le foie ou la jugulaire suffit, tout comme le fait de cacher les corps dans des malles n'apporte in fine pas grand-chose tant l'ennemi est bête. Franchement, en termes d'intelligence artificielle, c'est très régressif, mais vous savez quoi, on s'y fait un peu.
LE JEU VIDÉO POUR LES NEUNEUS
De temps à autres, entre deux séquences d'infiltration et de fusillades, Mafia The Old Country propose des combats au couteau en arène fermée, histoire de casser la monotonie. Ces duels avec caméra rapprochée rappellent le combat final de Uncharted 4, mais sans la fluidité des actions ni le savoir-faire de Naughty Dog. On pourrait résumer ça à des combats de boss, mais ils finissent assez vite par lasser, non pas parce que les possibilités sont limitées (on peut donner des coups par taillade, estocade et grosse frappe, esquiver et même parer), mais parce qu'ils finissent par lasser tellement ils sont prévisibles. C'est toujours le même schéma et se dire que chaque combat de boss se termine par ces duels au couteau prouve que Hangar 13 manquait là aussi de clairvoyance.
Toute cette approximation va de pair avec un autre élément qui a été réalisé avec peu de talent : les animations. Ils sont tous d'une rigidité cadavérique et c'est même assez choquant de constater qu'un éditeur comme 2K Games ait laissé passer un tel rendu si désuet en 2025, eux qui ne tarissent pas d'éloges quand il est question de parler du réalisme des mouvements dans chaque NBA 2K qui sort à chaque rentrée. On exagère même pas, mais on se croirait revenir en 2008/2010, du temps où la performance capture n'en était qu'à ses balbutiements dans le jeu vidéo. Courir, se baisser, grimper une corniche, tout se fait avec une lourdeur assez sidérante et on ne vous parle même pas de la grossièreté des scripts qui se lancent avec pénibilité parfois. C'est comme voir les coutures d'un jeu qui aurait été fabriqué à l'ancienne, mais avec 15 ans de retard. Le titre de Hangar 13 est clairement dans son jus, et le paradoxe, c'est qu'on finit par s'y faire évidemment. Mais bon sang, quelle indignité de la part d'un studio comme Hangar 13.
Mafia The Old Country souffre également du syndrome du jeu qui ne sait pas faire confiance à son public, ou plutôt qui pense que même le grand public a besoin qu'on lui prenne par la main. Le jeu est déjà très linéaire, mais il indique tout au joueur, que ce soit le chemin à suivre, avec des balises tous les 20 mètres (on n'exagère rien), les objets en surbrillance, et même une vision à travers les murs dont dispose Enzo pour repérer les ennemis dans une zone. Ça n'a aucun sens pour un jeu comme Mafia, mais ça prouve que les développeurs nous prennent aussi pour des idiots, ou du moins des bras cassés. Et à l'heure où le jeu vidéo se débarrasse de toutes ces assistances, Mafia The Old Country fait totalement l'inverse. Aussi couillu que hors du temps.
FORZA ITALIA !
Si Mafia The Old Country échoue dans l'élaboration de son gameplay et ses animations complètement rouillées, il séduit en revanche par ses graphismes. C'est simple, le jeu est visuellement séduisant et l'utilisation de l’Unreal Engine 5 magnifie les paysages de Sicile : villages délabrés, ruines antiques, campagnes arides baignées de lumière, rarement la série n’avait atteint une telle qualité visuelle. La mise en scène des cinématiques, soutenue par une direction artistique oscillant entre film mafieux et western crépusculaire, confère à l’ensemble une puissance iconique, il faut vraiment le souligner. Et si les animations des personnages dans leurs mouvements manquent clairement de souplesse, les expressions faciales sont en revanche d'une grande réussite. C'est assez paradoxal.
Un mot pour finir sur les dialogues et le joli travail abattu par les comédiens, qui sont parvenus à insuffler une vraie identité aux personnages, mais surtout une ambiance sonore assez incroyable, sans doute parce que le parti-pris a été de parler un anglais avec un gros accent sicilien et une multitude de mots italiens qui se mélange à l'anglais. Si vos souhaitez l'immersion parfaite, le jeu propose aussi un doublage sicilien, lui aussi de très bonne facture, tandis que la VF déçoit par sa banalité et un manque singulier de ton dans certaines situations. Non pas que les comédiens de doublage française se sont foirés, mais simplement parce qu'ils n'avaient sans doute pas d'appui visuel au moment de l'enregistrement des voix et qu'ils ont également été mal dirigé. Ça arrive... Heureusement, les musiques et la BO sont là pour rattraper les imperfections.