Le chemin de Tati Gabrielle dans l’univers de Naughty Dog n’a rien d’un long fleuve tranquille. Déjà remarquée dans des rôles aussi marquants que sombres (Chilling Adventures of Sabrina, You, ou encore Uncharted), l’actrice incarne aujourd’hui deux facettes d’un même miroir : Nora dans The Last of Us et Jordan A. Mun, héroïne du prochain jeu du studio californien : Intergalactic The Heretic Prophet. Entre spiritualité assumée et résilience face à la haine en ligne, Tati Gabrielle navigue à contre-courant d’un océan de violence numérique qu'elle ne connaissait pas encore.
La spirale de la haine, encore et toujours
Chez Naughty Dog, le talent féminin attire autant les louanges que les pires instincts des internautes. Ce phénomène n’est plus un accident isolé : il est presque systémique depuis quelques années pour les production de Naughty Dog. Lors de la sortie de The Last of Us Part II, Ashley Johnson (Ellie) et Laura Bailey (Abby) avaient déjà essuyé une vague de harcèlement inouïe, cette dernière allant jusqu’à recevoir des menaces de mort pour avoir prêté sa voix à Abby, personnage complexe, clivant, mais brillamment écrit. Bella Ramsey, à son tour, n’y a pas échappé. Dès l’annonce de son casting en tant qu’Ellie dans l’adaptation HBO, les attaques ont fusé, souvent sexistes, parfois homophobes, toujours malhonnêtes car souvent sur son physique. Et maintenant, c’est Tati Gabrielle qui entre dans l’œil du cyclone.
L’actrice a pourtant à peine eu le temps d’exister dans l’univers de Intergalactic The Heretic Prophet, dévoilé en grande pompe lors des Game Awards 2024, qu'elle est déjà au centre de tous les sujets anti-wokes. Quelques secondes à l’écran, une silhouette charismatique au crâne rasé, un vaisseau spatial, un blouson rouge – et une avalanche d’insultes, essentiellement racistes et sexistes. Dans un entretien à Entertainment Weekly, Tati Gabrielle est revenu avec calme et lucidité sur cette vague de haine :
« J’ai reçu beaucoup d’amour, mais aussi beaucoup de haine à cause du fait que je sois une femme, une femme de couleur, à la tête rasée, toutes ces critiques que je n’avais même pas vues au départ – je ne suis pas sur les réseaux sociaux pour cette raison – mais une fois que ce fut le cas, Neil [Druckmann] m’a dit : “Ignore ça. Quoi qu’il arrive, toi et moi, on va faire quelque chose de beau.” »
Ce soutien n’a rien d’anecdotique, puisque Neil Druckmann, figure centrale de Naughty Dog et co-showrunner de The Last of Us, reste lucide face à la toxicité d’une frange du public. Son choix de porter Tati Gabrielle à la tête de leur nouvelle licence est à la fois un acte artistique et un positionnement clair : défendre une vision inclusive, progressiste, affranchie des diktats communautaires. Sur le plateau de The Last of Us, Tati Gabrielle compose un rôle viscéral, puisque Nora n’est ni tout à fait bourreau, ni tout à fait victime. Elle incarne une dualité troublante, celle d’une femme prise dans les engrenages de décisions terribles. Sa scène de mort, où Ellie la pourchasse et la tue dans une salle infestée de spores, figure parmi les moments les plus violents de la saison, mais aussi les plus humains. “J’ai joué Nora comme quelqu’un qui disjoncte en début d’épisode 5. Quelqu’un qui se persuade que tout ça est derrière elle… jusqu’à ce qu’Ellie lui colle son regard en pleine figure.” précise-t-elle...
Dans Intergalactic The Heretic Prophet, Tati Gabrielle endossera le rôle de Jordan A. Mun, chasseuse de primes spatiale perdue sur une planète maudite. Une héroïne à l’identité forte, propulsée dans un univers rétro-futuriste où se mêlent spiritualité, foi et solitude. Le jeu questionne ce que croire signifie réellement avoir foi en une religion, en une cause, en soi-même. Mais cette incursion dans le jeu vidéo — son premier rôle dans le médium — l’intimide. Elle le reconnaît : “C’est un monde que je ne connais pas encore. Je veux rester ouverte, ne pas projeter d’attentes irréalistes. Ne pas arriver en pensant savoir.”
Tati Gabrielle et ses convictions affirmées incarne un contre-modèle aujourd'hui, mais une chose est sûre, elle n’est pas venue pour répondre à la haine, mais pour la traverser. Et surtout, pour donner vie à des mondes trop grands, trop complexes, trop beaux pour être réduits aux cris anonymes d’un Internet malade. Et dans une industrie où les femmes — et a fortiori les femmes racisées — paient encore le prix fort de la visibilité, elle avance avec courage, portée par sa foi personnelle, par la confiance d’un studio majeur, et par la certitude que l’art peut encore, parfois, faire bouclier. On imagine que Intergalactic montrera ses premières images de gameplay lors du Summer Game Fest en juin prochain. Fingers crossed.