Sorti à une époque à les point & click étaient légion et à la mode, L'Amerzone avait su se faire une place de choix dans le genre. Le titre de Microids s’inscrivait aussi dans une transition importante du jeu d’aventure à la fin des années 90, période post-LucasArts où le genre cherchait une nouvelle voie. Si Myst (1993) avait ouvert la porte à l’exploration à la première personne, et Grim Fandango (1998) innovait par sa narration, L'Amerzone posait les bases de ce qui deviendrait plus tard la marque de fabrique de Benoît Sokal dans Syberia : une narration adulte, des environnements crédibles, et une progression par l’observation minutieuse. Avec la disparition de Benoît Sokal en 2021 et l'envie de perpétrer son héritage, Microids a jugé bon de lancer le remake de cette oeuvre jadis culte. C'est à son plus prestigieux studio - et c'est le seul d'ailleurs, Microids ne travaillant qu'avec des prestataires essentiellement - que la tâche fut demandée. Un job qui fut d'ailleurs le dernier, Microids Studio Paris ayant fermé ses portes avant même que le jeu ne sorte. On pense fort à eux...
PLUS TRADITION QUE MODERNITÉ
L'histoire de l'Amerzone cuvée 2025 démarre comme celle de 1999, c'est-à-dire dans la peau d’un jeune journaliste venu interviewer le vieux professeur Alexandre Valembois. Rongé par le remords d’avoir perturbé l’équilibre écologique d’une île en y volant un œuf sacré, l’explorateur confie au joueur la mission de ramener ce vestige à sa terre d’origine : l’Amerzone. Si le récit conserve la trame principale de 1999, il ajoute désormais d'autres trames secondaires, permettant d’approfondir les motivations de Valembois, sa relation avec ses étudiants, et ses choix de vie. Ce sont de véritables fenêtres narratives qui enrichissent l’univers, sans pour autant être obligatoires pour progresser. On apprécie. Cela dit, une fois qu'on a été témoin de la mort subite de Valembois, dans son phare décrépit, on s'envole aussitôt vers l’Amerzone, une terre fictive d’Amérique latine aux paysages luxuriants et aux légendes mystérieuses. L’objectif est simple : restituer l’œuf volé et restaurer l’équilibre naturel. Mais la simplicité de la quête cache une histoire plus grande : celle d’une narration fragmentée, où chaque indice trouvé (photo, carnet, document manuscrit) reconstitue le puzzle émotionnel et historique de Valembois. L’essence du jeu repose donc sur l’exploration méticuleuse de chaque parcelle des décors. Si vous vous attendez à de l'action ou des émotion, vous risquez d'être déçu, si vous aimez fouiner et observer attentivement, vous êtes probablement au bon endroit. Chaque mur, chaque tiroir, chaque note griffonnée peut contenir la clé d’une énigme. Cela implique une lenteur assumée : le jeu fonctionne à l'ancienne, comme en 1999, par mouvements en point-and-click à la première personne, avec des transitions rigides et ultra lents entre les scènes, héritage de son modèle originel.
Mais ce remake n’échappe pas à certaines faiblesses d’un autre temps. Le rythme lent, les mécaniques de jeu figées, et une interface parfois obsolète rappellent qu’il s’agit d’un jeu né à la fin des années 1990. Les plus jeunes joueurs, habitués aux standards modernes, pourraient décrocher face à une structure linéaire, exigeante, et pas toujours accueillante. C'est là d'ailleurs que le bât blesse, car les trailers induisaient le joueur en erreur, laissant penser qu'il pouvait se déplacer librement dans ces décors remis au gout du jour. Que nenni, vous pourrez tout juste bouger la tête pour observer, jamais vous déplacer librement, ni en temps réel. C'est d'autant plus regrettable que pour un remake, il aurait été plus judicieux de moderniser aussi le gameplay, plutôt que de s'accrocher à un héritage de gameplay vieux de 26 ans. Mais ne soyons pas dupes, si le gameplay n'a pas évolué, c'est aussi par des soucis de budget... De toutes les façons, les plus jeunes joueurs, habitués aux standards modernes, vont sous doute décrocher face à une structure linéaire, exigeante, et pas toujours accueillante.
GAMEPLAY - TROP - OLD SCHOOL
Si la progression conserve une structure « pas à pas », elle reste quand même un peu plus fluide que celle de 1999. Les objets sont désormais modélisés en 3D, manipulables dans tous les sens, et les interactions sont enrichies par des animations contextuelles : ouvrir une porte ou un tiroir implique de reproduire le mouvement avec le stick analogique. L’Amerzone étant avant tout un jeu d’énigmes et d’exploration, les casse-têtes reposent sur l’observation, la logique et la lecture attentive de documents disséminés dans le décor. Deux modes sont proposés : 'Voyage', pour une expérience plus accessible, et 'Aventure', qui renforce la difficulté en réduisant les indices. De quoi convenir à tous les profils, du néophyte au joueur aguerri. Ceci étant dit, les énigmes sont loin d'être bien compliquées et se résument souvent à activer un mécanisme, retrouver un code à partir d’une date sur une carte postale, ou brancher correctement une machine. Le jeu ne cherche pas à « faire souffrir » le joueur par des mécaniques absurdes. Et pour ceux qui pourraient se sentir bloqués, un système d’aide à plusieurs niveaux permet de recevoir des indices plus ou moins directs, sans nuire à la satisfaction de la découverte. Toutefois, certaines énigmes souffrent de leur fidélité à l’époque d’origine : textes manuscrits difficiles à déchiffrer, solutions datées ou peu intuitives, et objets dont le rôle reste parfois flou.
L’Hydraflot, véhicule amphibie iconique, fait évidemment son grand retour. Sorte d’appareil steampunk rétrofuturiste capable de se métamorphoser en sous-marin, avion ou bateau selon les besoins. Une grande partie de l’aventure consiste à trouver le carburant et les modules nécessaires à sa transformation. Si certains éléments paraissent absurdes, comme avoir besoin d’un bidon d’essence pour franchir quelques mètres, cela sert surtout à structurer le rythme et baliser l’exploration, mais aussi augmenter une durée de vie qui n'est pas bien longue en réalité. L'aventure se termine entre 6 et 8h de jeu, sachant que le rythme très lent des actions est à prendre en compte pour en venir à bout.
Si le gameplay risque de rebuter une partie des joueurs du fait de son approche old school (pour ne pas dire archaïque), L’Amerzone se rattraper par ses graphismes, plutôt chouettes, et permis grâce au moteur Unity. Pour le coup, c'est réussi, puisque le jeu affiche des rendus convaincants. La faune imaginaire, les architectures délabrées, les marais mystérieux ou les machines étranges participent à une immersion quasi immédiate. Chaque environnement est minutieusement détaillé, avec un certain charmle rétro pas dégueulasse, sachant que même l’usage de disquettes participe à l’ancrage temporel du jeu. Malheureusement, cet écrin n’est pas sans quelques accrocs. Les modèles 3D des personnages et créatures sont en retrait, avec des PNJ aux allures robotiques et des animaux qui manquent de souplesse, et de près, l’émerveillement laisse place à une certaine artificialité. C’est d’autant plus dommage que l’univers est riche et que l’atmosphère sonore - bien que discrète - soutient efficacement la sensation d’émerveillement et de solitude. On note cependant des baisses de framerate régulières, notamment lors de cinématiques animées ou de transitions entre zones. De plus, certains textes clés, écrits en cursive manuscrite difficilement lisible, alourdissent inutilement la résolution d’énigmes.
En gros, le nouveau Amerzone cuvée 2025 a davantage soigné l'emballage au détriment d'un gameplay malheureusement pas assez contemporain pour convaincre totalement. La narration reste captivante, l’ambiance relaxante, grâce aussi à la bande originale signée Inon et Ori Zur, mais il faut accepter que le jeu soit lent, très lent, beaucoup trop lent, et avec une approche du point & click qui date de l'ère des années 90. On comprend l'héritage, mais il y a des moments quand même où l'on est découragé. Ca plaira aux quadra nostalgiques d'une époque révolue, beaucoup moins aux jeunes joueurs. On est des vieux et le gameplay nous a pas mal refroidi aussi...