Pensé dès le départ comme un spin-off, Xenoblade Chronicles X est le fruit d’un pari audacieux de Tetsuya Takahashi et des équipes de Monolith Soft : créer un monde ouvert colossal, à une époque où la domination occidentale dans le domaine faisait figure de norme. Sans les ressources d’un GTA ou d’un Skyrim, le studio japonais parvient à repousser les limites techniques de la Wii U en 2015, livrant une œuvre à la fois monumentale et pionnière. Le titre ne cherche pas à reproduire les recettes des JRPG traditionnels. Il assume une rupture narrative en reléguant l’histoire principale au second plan pour mieux valoriser la liberté d’exploration. Ce choix de design marque un tournant qui inspirera profondément Nintendo, à tel point que Monolith Soft sera directement impliqué dans la création du monde ouvert de Breath of the Wild.
'ALORS REGARDE, REGARDE UN PNEU...'
Mira. En espagnol, ça veut dire regarder, mais c'est aussi un nom qui sonne comme une invitation au voyage. À l’aventure. À la contemplation aussi. C'est sur cette planète en effet, Mira, que les chose démarrent, doucement, un peu trop pour les goûts de certains, mais Xenoblade Chronicles X n'est pas pressé et dès les premières minutes, on sent qu'il ne joue pas dans la même cour que les autres RPG. Il ne cherche pas à vous tenir par la main, il vous lâche dans un monde immense, ouvert, et vous dit simplement : débrouille-toi. Chaque zone du jeu est une carte postale vivante. On passe d’une jungle luxuriante à des déserts infinis, d’un littoral baigné de soleil à des paysages nocturnes à couper le souffle. L’architecture du monde n’a rien de procédural ou d’aléatoire : tout semble pensé, structuré, avec une verticalité rare et une logique environnementale qui force le respect. La planète Mira, où s’échouent les derniers survivants de l’humanité, incarne cette promesse d’évasion totale. Chaque recoin de ce monde étranger est pensé pour stimuler la curiosité du joueur. Pas de transition entre les zones, pas de murs invisibles, juste une nature sauvage aussi sublime que redoutable, répartie en cinq biomes d’une diversité saisissante. Les créatures qui peuplent Mira impressionnent par leur variété de design et leur comportement dynamique. Certaines coexistent pacifiquement avec les colons de New Los Angeles, d’autres représentent une menace constante, et il appartient au joueur de lire le terrain, d’observer, d’éviter ou de combattre. C’est cette approche naturaliste qui renforce d'ailleurs l’immersion.
Avant de parler combats, il faut évoquer le cœur du jeu : l’exploration. Xenoblade Chronicles X est un RPG de la marche, de la course, de la grimpe, du saut. Le level design vous pousse à chercher des raccourcis, à gravir des montagnes, à dompter la topographie. On y trouve une approche presque zen de la progression, à mille lieues de l’action frénétique des J-RPG traditionnels. L’installation de sondes sur la carte est aussi un pan important du gameplay. Elle permet de récolter des ressources, de surveiller la carte, d’optimiser ses déplacements. Cette gestion discrète donne un aspect stratégique et survivaliste qui se découvre sur le - très - long terme. Le jeu nous place dans la peau d’un avatar entièrement personnalisable, recruté par la division BLADE pour sécuriser la colonie humaine. Ce personnage malheureusement muet devient le prisme par lequel nous projetons notre propre aventure. Ce n’est pas tant une histoire que l’on nous raconte, mais une expérience que l’on vit à travers nos choix. Xenoblade X propose ainsi une progression totalement non-linéaire, où la découverte d’un artefact alien, la rencontre avec une espèce inconnue ou la libération d’une zone hostile peuvent survenir dans n’importe quel ordre. Cette liberté n’est pas sans risques : les monstres de niveau supérieur guettent, et un mauvais pas peut précipiter une mort brutale. Mais c’est aussi cette tension qui galvanise, qui pousse à s’équiper, à se former, à progresser.
SKILL + SEL = SKELL
Si la première moitié du jeu se concentre sur l’exploration à pied, l’arrivée des Skells – des armures mécaniques géantes – transforme radicalement la dynamique du gameplay. Vol, combats aériens, déplacements rapides : on accède alors à une autre couche du monde, jusque-là inatteignable. Chaque Skell peut être modifié, armé, peint et piloté à la manière d’un Gundam. Leur introduction est un événement majeur, qui prolonge la durée de vie et renouvelle l’approche tactique. Et comme tout le reste dans Xenoblade X, rien n’est immédiat : il faut mériter son Skell, apprendre à le maîtriser et à l’entretenir.
Au combat, Xenoblade X emprunte au MMO. Loin des enchaînements frénétiques, ici tout se joue dans le placement, dans le timing des Arts, dans la coordination des attaques et l’enchaînement des combos. Le rythme est lent au début, mais il s’intensifie au fil des niveaux. La Definitive Edition apporte des ajustements subtils mais bienvenus. Le système de combat est affiné : recharge rapide des Arts, meilleure visibilité des cibles prioritaires, et un rééquilibrage global des mécaniques pour dynamiser les affrontements. Le doublage japonais, absent de la version Wii U, est enfin disponible, enrichissant l’expérience pour les amateurs de VO. Pour autant, il faut bien admettre que l’interface reste cependant dense, parfois surchargée, et certains reprocheront une lisibilité toujours en deçà des standards actuels, surtout dans les affrontements impliquant plusieurs Skells.
UN REMASTER DIGNE DE CE NOM ?
Le travail de Monolith Soft sur cette version Switch est tout sauf paresseux. Visuellement, le jeu gagne en netteté, en lisibilité. L’interface a été retravaillée, particulièrement en mode portable. Les textes sont plus lisibles, les menus mieux pensés, et l’ergonomie est globalement supérieure à celle de la Wii U. Le jeu tourne à 30fps constants, même dans les zones vastes ou en plein combat avec Skells. Il faut saluer ici l’optimisation, car Mira est loin d’être une carte facile à faire tourner. Quelques limites demeurent — certaines textures sont datées, et les cutscenes n’ont pas toutes bénéficié du même soin. Mais l’essentiel est là : Xenoblade Chronicles X n’a jamais été aussi agréable à jouer. Mais la grande nouveauté de cette édition est l’ajout d’un chapitre bonus, véritable conclusion narrative longtemps espérée. Si le contenu reste volontairement gardé secret par Nintendo, les premières heures suggèrent une montée en puissance scénaristique bienvenue, répondant à des questions laissées en suspens en 2015. Ce final inédit prolonge l’aventure d’une douzaine d’heures, accessibles après avoir complété la trame principale. De toutes les façons, entre la pose des sondes d’extraction, les missions annexes, les relations à tisser avec les PNJ, les secrets à dénicher, les tyrans à abattre, la montée en niveau des classes et la gestion de notre propre équipement… il est impossible de s’ennuyer sur Mira. Le contenu déborde littéralement de chaque recoin du jeu. On parle facilement d’une durée de vie dépassant les 120 heures pour qui veut explorer Xenoblade Chronicles X à fond.
La bande-son signée Hiroyuki Sawano – célèbre pour son travail sur L’Attaque des Titans – divise encore aujourd’hui. Mélange improbable de hip-hop, rock symphonique et envolées orchestrales, elle confère au jeu une identité sonore à part. Certains thèmes, comme celui de New L.A., peuvent agacer. Mais d’autres, notamment ceux liés aux tyrans, déclenchent une véritable montée d’adrénaline. La partition de Xenoblade X ne laisse jamais indifférent – et c’est peut-être là sa plus grande force. De toutes les façons, il faut accepter Xenoblade Chronicles X pour ce qu’il est : un RPG qui ne veut pas plaire à tout le monde. Il est parfois rugueux, souvent exigeant, presque obtus dans sa gestion du tutoriel ou de ses mécaniques obscures. Mais il est aussi terriblement généreux, riche, audacieux, immense.