Autant évacuer le faux suspense d’entrée de jeu : le Cobra de Microids et du studio Magic Pockets est raté. Oui. Et très franchement, on l’a tous vu arriver à des kilomètres à la ronde, dès la première bande annonce avec les extraits de gameplay et surtout depuis la démo sortie début juin lors du Steam Fan Fest. On pouvait éventuellement avoir une lueur d’espoir parce qu’on sentait que le jeu avait été fait avec envie et une certaine passion, mais malheureusement, il y a un plafond de verre que Microids n’arrive pas à dépasser. Et ce seuil critique, vous le connaissez tous, c’est le budget. Perso, je ne sais pas combien d’argent a été investi dans le jeu, mais une chose est sûre, le jeu a été fabriqué en deux ans par une petite équipe de 30-35 personnes chez Magic Pockets Torcy 77, à laquelle il faut rajouter la production team de Microids et la vingtaine de QA testeurs qui ont fait en sorte que le jeu ne sorte pas buggué. Et pour le coup, le jeu Cobra est plutôt clean en termes de finition. Pas de glitch disgracieux ni de bug bloquant, mais en revanche, le reste, c’est franchement à des années lumières des standards d’aujourd’hui et de ce qu’on est en train d’attendre d’une licence telle que Cobra. Et cela fait d’autant plus mal que Cobra, licence culte s’il en est, méritait infiniment mieux. Les fans de Récré A2 et du Club Dorothée retrouveront sans doute un parfum de nostalgie, mais il y avait matière à faire vibrer une nouvelle génération, surtout à l’heure où une nouvelle série animée est en préparation. Cobra avait de quoi redevenir tendance, peut-être pas au niveau de l’ogre Goldorak, mais assez pour rallumer l’étincelle. Avec une vision claire, un vrai parti-pris artistique et les moyens nécessaires, la galaxie avait de quoi s’embraser à nouveau. Ici, hélas, la flamme s’est éteinte avant même d’avoir jailli.
Inutile de ressasser : opter pour un shooter-plateformer en 2D était sans doute le choix le plus frileux que l’on pouvait imaginer pour ressusciter Cobra. On aurait rêvé d’une aventure narrative en 3D, d’un vrai jeu d’action à la troisième personne, capable d’épouser les canons actuels et de sublimer l’univers baroque de Buichi Terasawa. Mais que voulez-vous, Microids a les idées, rarement les moyens. Trouver un studio de la trempe de Tower Five (Les Fourmis) capable de livrer une production sous Unreal Engine 5, à la hauteur des attentes de 2025, c’est un phénomène rare pour Microids, c'est un peu comme attendre le passage de la comète de Halley : une apparition tous les 76 ans. Résultat, il faut composer avec les moyens du bord. Traduction : un financement rachitique et la nécessité de s’acoquiner avec un studio prêt à faire des miracles avec un budget qu'on imagine limité. Ce rôle, c’est Magic Pockets qui l’a endossé. Fondé en 2001, racheté un temps par Take-Two Interactive en 2005 avant de regagner son indépendance deux ans plus tard, le studio de Torcy (77) n’est pas un inconnu. Mais en consultant son CV, la messe est vite dite : près d’un quart de siècle consacré à des jeux portables et mobiles. Game Boy, Nintendo DS, iOS, Android… voilà le terrain de jeu historique de Magic Pockets. Dès lors, rien d’étonnant : ce Cobra a l’allure d’un titre mobile d’il y a quinze ans. Pas de miracle, pas de révélation soudaine, tout s’explique même, tout est logique, et c’est bien ça le drame...
"REGARDE PAPA, ON DIRAIT UN JEU MOBILE DE 2010..."
Parce que oui, Cobra est un jeu qui fait peine à voir dans ses graphismes, les images parlent d’elles-mêmes… Les modèles 3D des personnages sont ultra simplistes, ultra sommaires aussi, avec des proportions parfois douteuses, les environnements sont eux aussi très low cost, avec des assets dupliqués de partout, des textures sans le moindre détail, souvent floues et qui donnent l’impression d’avoir été façonné sous Paint, j’exagère à peine. D’ordinaire, lorsqu’on ne peut rivaliser techniquement, on dégaine l’arme de la direction artistique, et c’est souvent elle qui permet de transcender un budget famélique. Ici, hélas, pas de miracle : l’esthétique est non seulement indigente, mais en totale dissonance avec l’univers chatoyant et sensuel imaginé par Buichi Terasawa. On aperçoit bien quelques illustrations surgissant lors de dialogues figés, certaines honorables, mais dès que l’Homme de Verre apparaît avec sa trogne botoxée, c’est le cauchemar assuré. Le plus accablant reste pourtant la construction des niveaux, désespérément ternes. Une monotonie à ce point écrasante qu’elle donne presque envie d’éteindre la console par lassitude. Dix à douze heures de progression dans des environnements qui se ressemblent les uns les autres, aussi bien dans leur design que dans leur structure, avec en prime un level design sans éclat ni personnalité. Quelques exceptions émergent pourtant, comme la ville aux néons éclatants, superbe en apparence mais désespérément vide d’interaction et dont on passe quelques secondes seulement. Le cimetière, baigné d’une lune rouge, parvient à sauver les apparences aussi, puisque le niveau d'exigence est aussi bas. Il y a aussi le stage enneigé, baigné d’une lumière enfin respirable, offre un répit fugace. Mais le reste ? Une succession de paysages amorphes, grisâtres, qui finissent par plomber l’expérience et, pire encore, la mémoire du joueur.
APPROXIMATIF, AU PIF
Mais le véritable naufrage de ce Cobra ne se niche pas dans ses graphismes bas de gamme. Non, ce qui plombe irrémédiablement l’expérience, c’est le gameplay lui-même. Sur le papier, c’est plutôt pas mal. Cobra peut marcher, courir, il peut sauter, sauter plus haut, utiliser un grappin, marcher le long de certaines parois grâce à ses bottes, esquiver avec un dash au sol ou aérien. Classique quoi. Mais là où le jeu se distingue et propose d’ailleurs des idées sympas, c’est dans l’usage de son Psychogun, son fameux Rayon Delta. On peut shooter à cadence régulière, on peut charger pour obtenir un tir plus puissant, mais on peut également diriger le rayon pour mieux viser les ennemis et surtout en abattre plusieurs d’un coup. Cobra a aussi son Revolver, qui lui sert à briser les boucliers psychiques des ennemis. Et enfin, Cobra peut aussi donner une série de coups de poing et de coup de pieds au corps-à-corps. Bref, notre héros dispose de multiples compétences pour être un personnage de jeu vidéo complet. Le problème, c’est que la mise en situation de ces capacités est beaucoup trop approximative pour ne pas dire hasardeuse. L’inertie des sauts est calamiteuse, donnant à Cobra une lourdeur flottante, un personnage prisonnier d’une physique approximative. Les accrochages aux corniches, gérés par un magnétisme capricieux, ne fonctionnent qu’une fois sur trois. Le système de grappin est lui aussi très spécial et il vous faudra un temps d’adapation pour capter son usage. En gros, lorsque vous voyez des cellules flottantes, Cobra peut utiliser son grappin, il faut d’abord sauter et dans le laps de temps où il est dans les airs, on peut indiquer la direction que va prendre Cobra avec son grappin à travers cette cellule. C’est très très spécial au début et très sincèrement, même si on s’y fait après 10h de jeu, c’est pas le moyen le plus fluide qui ait été imaginé. Sauf que toute cette approximation va avoir un impact négatif sur le jeu et il ne sera pas rare de refaire 10 fois la même manoeuvre, si ce n’est pas plus, pour réussir ce qui était prévu. Généralement, un jeu essaie d’avoir des contrôles précis quand on a de la plateforme, visiblement, chez Microids et Magic Pokets, l'approximation n’est pas un problème…
Et pourtant, croyez-le ou non, il y a pire encore, bien pire : les animations. Un gouffre d’amateurisme tel qu’il en devient difficile de ne pas remettre en cause le savoir-faire de Magic Pockets. Que le studio ait manqué de moyens pour accoucher d’un véritable AA, soit. Mais livrer des animations d’une telle rigidité, aussi archaïques qu’inexistantes, cela dépasse le simple problème de budget : c’est une absence de compétence. Soyons clairs : en 2025, avec les outils disponibles, les moteurs d’animation et les bibliothèques de mouvements accessibles même aux équipes modestes, sortir un jeu avec des personnages figés comme des mannequins de cire relève d'une certaine incompétence. No offense, mais c'est factuel. On vous invite à vous arrêter deux minutes pour voir les animations des autres personnages, que ce soit les alliés de Cobra, ou même les ennemis, c’est assez risible ; à tel point que je me suis demandé si ce n’est pas les mêmes personnes qui se sont occupées de Flashback 2… Très sincèrement, c’est lamentable, surtout vu le prix auquel le jeu est vendu, c’est-à-dire 40€.
Mais au fond, fallait-il vraiment s’attendre à autre chose ? Avec Microids, on a presque fini par intégrer l’idée qu’il ne faut rien espérer de plus qu’un produit fonctionnel (et encore, ce n'est pas toujours le cas). Alors on se prend à rêver, naïvement, que la mise en scène viendra sauver les meubles. Raté. C’est le néant absolu, un vide intersidéral. Pire encore : Cobra lui-même, minuscule à l’écran, comme des pattes de mouches, se perd dans la mêlée dès qu’une poignée d’ennemis s’agglutinent autour de lui. Un héros réduit à l’état de figurine riquiqui, qui se dissout littéralement dans le décor. On aurait pu imaginer quelques trouvailles visuelles pour pallier cette illisibilité : variations de plans, angles appuyés, focales travaillées… Mais non, tout ce que le jeu propose, ce sont deux ou trois zooms timides en ouverture de mission, et une caméra qui pivote mollement pour donner l’illusion d’un souffle cinématographique. Waouh ! Le degré zéro de la mise en scène. Le budget étant inexistant, vous comprendrez aussi qu'aucune cinématique originale n’a été produite. Microids et Magic Pockets se sont contentés d’aller piocher dans l’anime d’époque, recrachant des extraits en 360p, tels quels, entre deux séquences jouables. Sur un écran OLED 4K de 77 pouces comme à la maison, c’est une torture visuelle : les pixels jurent comme jamais, les artefacts sur l'image explosent à l'écran. Et pour faire disparaîtr le format 4/3 de l'époque, ils ont eu la "bonne" idée de zoomer dans l’image pour l’étirer en 16/9. Résultat : une bouillie visuelle encore plus pixellisée, amputée de détails, où l’on voit moins et plus mal. Des choix catastrophiques, symptomatiques d’une production qui fait avec les moyens du bord, c'est-à-dire trois bouts de ficelle. Et ça se voit terriblement...
Que reste-t-il alors à sauver ? La musique, peut-être ? Là encore, l’illusion ne dure pas longtemps. Oui, l’opening japonais a été repris et réorchestré, mais sans panache, comme vidé de sa fougue originelle. Quelques bribes de l’anime d’époque sont bien recyclées çà et là, sur quelques secondes, mais cela ne suffit pas à masquer la pauvreté abyssale du reste de la bande-son. Les morceaux inédits sont plats, dénués de souffle, parfois totalement déconnectés de l’action à l’écran, et surtout, ils tournent en boucle ad nauseam. Plus que de la musique, ce sont des fonds sonores d’ascenseur qu’on nous sert. On pourrait se dire que l’adaptation fidèle des douze premiers épisodes (de l’arc des Sœurs Royale à Sandra en passant par l’Homme de Verre) aurait au moins permis de sublimer les boss. Mais là encore, quelle désillusion. Les affrontements sont d’une nullité affligeante. Zéro idée de mise en scène, aucune introduction digne de ce nom pour magnifier ces antagonistes iconiques. À l’exception de Vaiken, de l’Homme de Verre et de Sandra, on se contente d’affronter des drônes robots génériques, recrachés en boucle jusqu’à l’écœurement. Même Goldorak, pourtant malmené sur bien des aspects, avait su sauver ses combats de boss. Cobra, lui, se saborde jusque dans ce domaine. Le cas de Tarbeige est révélateur : au lieu d’un affrontement mémorable, il est expédié en cinématique. Quelle humiliation. Et pour compléter le tableau, difficile de ne pas mentionner le mode coopératif à deux joueurs. Sur le papier, l’idée avait de quoi séduire, puisqu’elle permet d’incarner Armanoïde, Jane ou encore un Cobra version « Alain Delon ». Dans les faits, ces personnages ne sont que de simples reskins sans valeur ajoutée. Une fonctionnalité cosmétique, creuse, qui n'apporte strictement rien. Bref, inutile.