Pendant très longtemps, SEGA semblait embarrassé par ses propres licences. Si Sonic a continué de porter l’image de l’entreprise japonaise, avec des hauts et souvent des bas, la plupart des autres franchises cultes de l’époque 8-16 bits ont été laissées à l’abandon ou confiées à des studios externes. Pire, SEGA a même loué ses licences pour des éditeurs plus malins comme DotEmu qui ont réussi à relancer la hype autour de Street of Rage, une licence qu’on pensait morte et enterrée et qui a littéralement cartonné avec son 4ème épisode. Résultat, plus de 2.5 millions de ventes en un an seulement d’exploitation, ce sont les derniers chiffres officiels, mais on imagine bien bien plus aujourd’hui. En fait, ce que DotEmu a réussi à mettre en place, c’est une véritable stratégie du jeu revival, basée sur la nostalgie bien sûr, mais surtout l’envie de faire de très bons jeux, chose que Microids n’a jamais su faire malgré sa plus grande force de frappe. Tout simplement parce que l’envie n’y est pas et qu’il y a aussi un manque flagrant de talent. Tout l’inverse du petit studio Lizardcube qui en est à son troisième jeu, le premier étant le remake de Wonderboy 3 et le deuxième Street of Rage 4 pour lequel ils ont juste assuré la partie graphique, tandis que le studio Gard Crush Games s’occupait de la partie technique. Du coup, pour honorer la mission que SEGA a confié à Lizardcube, le studio français a dû renforcer ses équipes, surtout que les ambitions étaient énormes. Comment faire revenir Shinobi, une licence vieille de 40 ans, qui ne parle plus vraiment à la nouvelle génération ? Parce qu’avec ce nouveau projet, il ne s’agit plus seulement de recréer des mécaniques oubliées : il faut réinventer, moderniser et rendre justice à l’aura du ninja légendaire. Et c’est exactement ce qui va se passer durant les 15/20h nécessaires pour venir à bout de l’aventure, avec une montée en puissance exceptionnelle. Une vraie leçon de jeu vidéo, je m’explique.
ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ
Tradition et modernité sont donc les deux maîtres-mots pour réussir la transformation, et Lizardcube a su justement créer cet équilibre parfait. Pour commencer, ce Shinobi Art of Vengeance reprend le personnage de Joe Musashi, maître du clan Oboro, toujours aussi muet, et dont la paisible existence bascule lorsque les troupes de l’ENE Corporation, menées par le sinistre Lord Ruse, rasent son village et massacrent quasiment tous ses proches. La quête de vengeance peut alors commencer et pour Lizardcube nous montrer qu’ils savent aussi faire des game design de génie. Forcément, étant donné que le premier Shinobi était un jeu très peu évolué en termes de gameplay, les Français de Lizardcube ont plutôt utilisé Shinobi 3 pour rappeler les fondamentaux de la licence, à savoir un mélange intelligent entre combat, plateforme et ambiance rétro-techno de bon aloi. Dans le Shinobi 2025 de Lizardcube, Joe Musashi est capable de courir de façon fluide, de sauter, de double-sauter, de grimper sur les murs, de faire une roulade au sol, de dasher, d’utiliser un grappin, une paravoile, de dive-kicker, mais aussi de perforer les armures des ennemis avec un poing ravageur, sachant que toutes ces compétences vont se débloquer au fil de l’aventure, avec des niveaux pensés systématiquement avec la dernière feature qu’on a débloquée. Et puis, il y a surtout cet usage magistral du katana avec des ninpô et autres ninjutsus qui s’intègrent parfaitement au gameplay et à cette science du combo, qu’on n’attendait pas aussi maîtrisé et qui va être la clef de la réussite de ce Shinobi Art of Vengeance.
LA SCIENCE DU COMBO
Ceux qui suivent un peu les travaux des studios comme Lizardcube, DotEmu et Guard Crush Games le savent, les fondateurs sont tous des mordus des jeux d’arcade, mais aussi et surtout des jeux de baston, celle de la belle époque, notamment de l’ère NeoGeo et les combos, c’est aussi leur dada, et c’est exactement ce qui a été injecté dans ce nouveau Shinobi. Toutes les mécaniques que je vous ai citées il y a quelques secondes vont participer à ces possibilités d’enchaînement hors-pair, avec une fluidité complètement folle. Et vous allez voir que dès le début du jeu, malgré qu’on dispose de peu de compétences, le jeu propose déjà une mécanique de launcher qui donne déjà un aperçu de ce qui nous attend plus tard. Cette façon d’ouvrir des combos repose évidemment sur cet héritage des Versus Fighting que la team Lizardcube affectionne tout particulièrement. Plus on avance dans le jeu, plus on débloque des capacités et plus le gameplay devient profond, avec l’ajout de cancel, de mouvements aériens, d’un second launcher et de finishers qui vont apporter de la diversité dans les possibilités de combos, tandis que certains Ninpô intègrent carrément des capacités de parade et de break inattendus. C’est maboule.
En plus, tout répond au doigt et à l'œil, au millimètre près et Joe Musashi se révèle extrêmement agile et réactif, tandis que les ennemis, qu’on affronte souvent en groupes ou par vagues, imposent une véritable tension et stratégie dans notre façon de jouer. Bourriner ne suffira pas pour remporter la bataille, les développeurs de Lizardcube ont prévu ce qu’il fallait pour que les ennemis vont rendent chèvre, avec des patterns bien fourbes qui vous obligent à réfléchir un minimum, d’autant que certains adversaires disposent d’une jauge d’armure avant qu’on entame leur barre de vie, ce qui nous incite à prioriser certains ennemis ou à organiser le combat en vagues optimisées. Chaque rencontre devient un plaisir tactique à analyser, et jamais les nouvelles vagues d’ennemis ne frustrent le joueur, mais au contraire stimulent la créativité. Il y a de la stratégie et de la réflexion dans ces affrontements qui paraissent chaotiques, alors que tout est évidemment maîtrisé, calculé. Et puis, Shinobi Art of Vengeance a aussi du challenge à revendre et il va falloir s’accrocher dur par moments, surtout que les checkpoints sont souvent très espacés et exigent du joueur de refaire toute une séquence pour accéder à la suite. Vous allez rager c’est sûr, mais vous allez apprendre aussi à vous améliorer.
Mais c’est surtout dans les phases de plateforme que l’habileté de Joe Musashi est mise à rude épreuve, avec des séquences qui deviennent progressivement plus longues et plus complexes, demandant précision et anticipation. Là aussi, les mouvements vont se débloquer et ouvrir d’autres chemins qui étaient inaccessibles jusqu’à présent. A la clef, des bonus cosmétiques comme de nouvelles tenues, mais surtout la notion de complétion totale. Il y a évidemment un côté Metroidvania assumé, même s’il faudra revenir dans les niveaux déjà parcourus, sachant que le jeu intègre la notion de voyages rapides à travers les stèles de serpent qui servent de checkpoints.
PRENDS-EN DE LA GRAINE !
Si Shinobi Art of Vengeance est un petit bijou de gameplay et de jouabilité, il est aussi un spectacle visuel de tous les instants, et on n’en doutait pas un seule seconde compte-tenu du savoir-faire de Lizardcube en la matière. Au-delà du joli coup de crayon de Ben Fiquet, c’est surtout cette manière de présenter les choses qui est très intelligente aussi, avec cette science de la mise en scène, même avec des arrière-plans à première vue statiques, mais qui disposent toujours d’éléments animés en amorce ou dans le fond. Rien n’est laissé au hasard, c’est magistral. Et puis ces environnements ne sont pas purement esthétiques, ils participent aussi à la mise en scène et au rythme des combats. Le jeu sait parfaitement jouer sur les plans de caméra, en zoomant sur l’action pour donner plus de patate à certaines séquences, tandis que le jeu n’hésite pas à prendre du recul pour magnifier certains panoramas quand c’est nécessaire. Chose que Cobra n’a jamais su faire par exemple, où tout était plat et sans intérêt. D’ailleurs, le jeu n’hésite pas à se renouveler sans cesse, aussi bien dans les décors que l’ambiance générale, mais aussi à travers le type d’ennemis qu’on va croiser au fil de l’aventure. Ils se renouvellent sans cesse, apparaissent en rapport avec les environnements qu’on parcourt et continuent à maintenir cette sensation de nouveauté à chaque fois. Chose là aussi que Cobra n’a jamais su faire, avec son bestiaire famélique, peu inspiré et recyclé jusqu’à l’écoeurement.
Et quid de la musique sinon ? Si Yuzo Koshiro est bel et bien dans les crédits de Shinobi Art of Vengeance, sa participation n’est que partielle, puisque c’est avant tout un certain Tiago “Tee” Lopes qui s’est chargé de la BO complète, lui qui a déjà travaillé avec SEGA sur les derniers jeux Sonic, mais aussi pas mal de projets en collaboration avec DotEmu. Personnellement, je trouve que la musique est un peu en retrait et moins percutante que les épisodes des années 80. Forcément, la nostalgie et l’enfance jouent sur notre ressenti, mais il n’y a pas de thème vraiment accrocheur dans cet épisode 2025 qui relègue ses morceaux au second plan. Rien de bien grave, mais quand tout est parfait, on s’attendait aussi à un banger sonore.