JEUXACTU : Sur la map que nous venons de jouer, j’ai eu l’impression d’une bien plus grande verticalité que dans les précédents Borderlands, avec trois voire quatre niveaux par endroits. Est-ce une volonté de tirer le gameplay vers plus de verticalité ou s’agit-il simplement de coller à l’univers urbain ?
Gabriel Richard (Lead Designer) : En fait, la map que vous avez pu jouer aujourd’hui se situe dans un contexte assez nouveau pour Borderlands, puisqu’on se trouve dans une ville, une grande mégalopole futuriste même. Bien que cet environnement nous permette d’explorer quelque chose de différent, on se retrouve tout de même avec une expérience plus linéaire composée de corridors et d’une alternance entre des intérieurs et des extérieurs. Néanmoins, la ville nous a effectivement aussi permis de travailler plus en verticalité. Il s’agit de quelque chose qu’on a pu se permettre grâce à la possibilité de changer de planète. On n’aurait jamais pu avoir une grosse mégalopole de ce genre sur Pandora, la planète étant chaotique et désertique. Avec cette nouvelle liberté, on s’est donc demandés quel types d’environnement serait intéressant pour le joueur dans Borderlands 3, et une grosse mégalopole inspirée de Blade Runner nous faisait vraiment envie. Il fallait tout de même se demander où cela pouvait exister, et la solution s’est offerte à nous avec une nouvelle planète : Promethea. Les différentes planètes nous permettent donc d’explorer de nouveaux environnements, et comme on peut le voir dans le jeu, ce n’est pas un simple changement stylistique mais aussi une nouvelle approche du gameplay.
JEUXACTU : En ce qui concerne le scénario, avec les Children of the Vault, êtes-vous partis du lore existant pour élaborer une aventure, où êtes-vous partis d’une feuille blanche en conservant juste l’univers ?
Maxime Babin (Game Designer) : Le lore est définitivement resté, mais il est abordé par clins d’œil pour les joueurs des titres précédents. Bien sûr, il n’y a pas besoin d’avoir fait les jeux précédents pour comprendre l’histoire, car il s’agit de nouveaux ennemis, de nouveaux vilains. Ces derniers ont toutefois leurs propres aspirations, ce qui fait qu’un joueur novice peut entrer facilement dans Borderlands 3. Néanmoins, il y a tous ces clins d’œil, tout ce lore que les gens apprécient, qu’on a voulu garder et raviver pour être sûrs que les anciens fans aient des choses auxquelles s’accrocher.
JEUXACTU : On voit que le jeu a beaucoup évolué graphiquement, avec entre autres un éclairage complètement revu. Est-ce que l’aspect Cel-Shading et la direction artistique propre à Borderlands ne sont pas un frein pour moderniser le rendu visuel ?
Gabriel Richard (Lead Designer) : C’est loin d’être un frein en réalité. Les jeux coûtent de plus en plus cher à produire, les plateformes de jeu sont de plus en plus puissantes et les outils que l’on utilise sont de plus en plus performants, ce qui permet d’obtenir maintenant du quasi-photo-réalisme en 3D. En fait, on constate que de plus en plus de jeux n’essaient plus de se distinguer par des prouesses technologiques comme le nombre de détails ou la peau, mais par le style. Je pense qu’on l’a bien compris avec Borderlands 3, ce qui nous a poussés à embrasser la direction artistique de la franchise afin de la faire évoluer pour la nouvelle génération. Le Cel-Shading nous permet au passage d’explorer d’autres techniques, spécialement au niveau des effets visuels.
JEUXACTU : Je sais que vous avez beaucoup travaillé sur les véhicules et leur physique, mais à quel point le studio du Texas vous a-t-il laissé les coudées franches dans votre travail ? Aviez-vous une liberté totale, ou fallait-il répondre à des demandes précises ?
Gabriel Richard (Lead Designer) : Ce qu’il faut savoir, c’est que notre studio de Québec est entièrement indépendant. Nous ne sommes pas un studio de support à l’image de ceux qui vont se charger exclusivement d’aspects spécifiques d’un jeu, comme les cinématiques. À Québec, nous avons pu nous occuper de divers aspects du titre de manière entièrement autonome, notamment les véhicules, ou certains niveaux que nous avons intégralement réalisés. Cela dit, nous sommes des professionnels aussi, donc on ne peut pas travailler en vase clos, et il y avait énormément de collaboration avec le Texas. Eux respectaient énormément notre indépendance, car il faut savoir qu’à Québec le marché de l’emploi compte beaucoup de talent. De notre côté on respectait bien évidemment leur expérience en tant que développeurs de Borderlands. Donc ensemble, on a vraiment pu collaborer, et chacun apportait un regard qui était bénéfique. Pour ce qui est des véhicules, on avait effectivement les coudées franches, même si Maxime (Babin) échangeait beaucoup avec Paul Sage qui est son homologue du côté de Frisco, afin de s’assurer que ce qu’on était en train de développer respectait l’essence du jeu. La discussion était donc présente pour vérifier la cohérence des travaux, mais rien n’était fait de manière hiérarchique. Le rapport est plutôt du genre: "Nous sommes des pros, on veut faire ce qui est le mieux pour le jeu, et on discute donc pour trouver le meilleur compromis".
JEUXACTU : Du coup, le système de véhicules est une évolution de celui des jeux précédents, ou est-ce entièrement nouveau ?
Maxime Babin (Game Director) : Le système est nouveau, même si il garde l’essence, les piliers fondamentaux, de ce qu’étaient les véhicules dans Borderlands. On a cependant rajouté la physique, ce qui ajoute ce feeling de poids, et d’impact sur l’environnement, tout en donnant de la profondeur à la conduite en général. On a également largement capitalisé sur la customisation des véhicules. Maintenant, on dispose de trois types de châssis qui ont des roues, des boosts, des armes et des armures différentes. C’est la même chose pour les skins, puisqu’on peut désormais choisir les couleurs, ce qui autorise une quantité incroyable de combinaisons possibles, exactement dans la lignée de ce qu’on peut avoir avec les armes.
JEUXACTU : Est-ce qu’on va donc pouvoir enrichir notre garage en piquant des véhicules ennemis ?
Maxime Babin (Game Director) : Au moment où tu voles un véhicule ennemi, tu peux bien sûr en profiter tel quel. Mais si tu le ramènes au Catch-A-Ride (le garage) tu pourras débloquer toutes les pièces équipées dont tu ne disposes pas. Il n’y a cependant aucune obligation à faire évoluer tes véhicules, et c’est vraiment un acte volontaire que de ramener une prise de guerre au Catch-A-Ride.
JEUXACTU : Est-ce que le fait d’avoir amélioré la physique des véhicules a modifié la manière de concevoir les niveaux, afin de pouvoir tirer profit des nouvelles mécaniques ?
Gabriel Richard : Si on regarde les niveaux de Borderlands 2, il y avait des maps plus vides, juste un peu vallonnées, avec quelques jumps, mais pas vraiment pensées pour le gameplay véhicules. Tout ce qu’on peut dire maintenant, c’est qu’avec la physique des véhicules, avec le travail des suspensions, toutes les interactions avec l’environnement se ressentent mieux et sont plus agréables. Donc oui, il y a des niveaux qui ont été conçus pour mettre ces fonctionnalités en avant, et cela permettra au joueur de s’amuser d’avantage en toute liberté.
JEUXACTU : Au niveau des armes, les sensations de shoot semblent s’être bien améliorées, mais cela reste très inégal en fonction des armes. Est-ce une décision ou une conséquence liée à leur génération aléatoire ?
Gabriel Richard (Lead Designer) : C’est un petit peu des deux. Je trouve que le gunfeel de Borderlands 3 est vraiment satisfaisant. Je suis un gros fan des armes de Dahl qui sont très agréables à utiliser, ainsi que les shotguns de Maliwan qui sont parmi mes armes préférées. Cela dit, nous sommes conscients que les armes qu’on prend en main sont inégales. L’objectif est de jouer avec l’effet de surprise. Effectivement, les armes sont générées aléatoirement depuis un vaste pool de pièces existantes, donc c’est sûr que certaines combinaisons vont provoquer la stupéfaction. Je pense à des snipers automatiques qui ont un recul énorme, ou encore des shotguns avec des lunettes. Des fois, on se demande si l’option est vraiment pertinente, mais pourquoi pas, même si le joueur laisse tomber l’arme après quelques minutes. Nous voulons surprendre le joueur avec ce genre de petite folie. Il faut permettre à ce genre d’arme d’exister, même si c’est juste pour que les joueurs se demandent quoi, et essayent par curiosité.
JEUXACTU : J’ai testé le personnage d’Amara, qui ne dispose que d’une seule capacité, tandis que Zane en dispose de deux. Pourquoi avoir choisi de limiter cette fonctionnalité, et ne pas donner plusieurs capacités à tous les personnages ?
Gabriel Richard (Lead Designer) : Effectivement, Amara ne peut avoir qu’un seul skill actif, même si il y en a trois au total, et qu’il faut passer par les menus pour en changer. L’intention est en fait de donner une identité propre à chacun des personnages. Pour Zane il était important qu’il soit différent, ce qui est pourquoi il peut avoir deux skills actifs différents. Pour le moment, les deux autres personnages n’ont pas encore été montrés, mais eux aussi disposent de capacités actives et passives sont complètement différentes. Ce qu’on voulait, c’est que l’expérience de jeu soit radicalement différente en fonction des personnages choisis.
JEUXACTU : Vous avez parlé de la liberté accordée par Frisco au studio de Québec pour réaliser niveaux et véhicules, mais est-ce que vous avez pu proposer et réaliser des niveaux spécialement dédiés à ces derniers par exemple, même si le cadre s’éloigne un peu de ce qu’on a l’habitude de voir dans la série ?
Gabriel Richard (Lead Designer) : Tout à fait. Je ne peux pas encore parler des spécificités, mais il va y avoir des niveaux dans lesquels vous allez pouvoir jouer spécialement, et qui vont mettre en scène les véhicules de manière spectaculaire. Ça vient en partie du fait que nous avions un focus très précis sur certains éléments.
JEUXACTU : Lors de ces trois ans de développement, est-ce que vous avez senti que votre relation avec Gearbox Frisco s’est renforcée, et qu’ils vous font plus confiance pour prendre des initiatives ?
Gabriel Richard (Lead Designer) : Oui forcément, au début nous étions des inconnus. Quand j’ai rejoint le studio, nous étions une trentaine et on a débarqué un peu comme ça. Ce que je peux affirmer, c’est que le CV des développeurs qui composent le studio est impressionnant. Du coup quand les gars de Frisco nous ont vus arriver, ils se sont dits : "Bon, ok, ce sont tous des types avec plus de 10 ans d’expérience ou presque", donc ils ont senti dès le départ qu’ils avaient affaire à des pros, à des gens qui savaient ce qu’ils faisaient. Ceci dit, Borderlands est tout de même une franchise qui est unique, et travailler dessus est forcément différent. Si je peux donner un autre exemple : moi, dans ma carrière, j’ai travaillé sur Call of Duty, et dans ce jeu, la campagne est réglée au micro-poil. Quand tu passes ce couloir, tel ennemi va sortir de telle façon, en réalisant la même cascade à chaque fois. On est presque dans la réalisation d’un film. À l’inverse, Borderlands est un jeu systémique. C’est un titre qui laisse place au comportement de chacun des ennemis dont les déplacements peuvent toujours surprendre les joueurs. Il y a comme une forme de détachement qu’il faut que tu apprennes à avoir sur ce point. Cerner la franchise a donc évidemment été un apprentissage pour le studio de Québec. Au fil des mois et des années, lorsqu’on montre notre travaille, la relation s’améliore car on comprend de mieux en mieux la série, et on produit un travail de qualité. Tout ceci nous met en confiance, et c’est à ce moment qu’on essaye de s’attaquer à de nouveaux défis et qu’on propose de nouvelles choses. Moi, j’ai vu une amélioration constante des relations.
Maxime Babin : Nous avons utilisé beaucoup d’outils internes pour chater en instantané, et on a également organisé de nombreux voyages pour connaître nos collègues. Ceci a permis de créer des liens et a facilité la collaboration. Maintenant, nous sommes pratiquement tous des amis, on se parle très souvent, et on a vraiment le sentiment de faire partie de la famille Gearbox.
JEUXACTU : La collaboration avec Gearbox Frisco s’est donc bien passée ?
Maxime Babin (Game Director) : Nous sommes une grande famille et on a une relation d’égal à égal. Je pense que ce qui fait notre force dans la collaboration, c’est qu’on a eu la chance de choisir les dossiers sur lesquels on voulait travailler. On a pu choisir ce qui nous excitait le plus, et Gearbox Texas était très ouvert à nous confier certaines portions de ce qu’ils devaient développer. On a été très content de pouvoir participer dans ce cadre, avec beaucoup d’échanges. C’était vraiment une relation d’égal à égal.