Mercenaire d’un millénaire, Kaim Argonar fut témoin, acteur, voire décisionnaire d’une infinité de conflits au cours de son existence. Voyageur libre et solitaire, il ne cessa qu’à de rares occasion sa perpétuelle traversée du monde, voguant de guerres en guerres, prêtant ses services de bretteur hors pair aux plus offrants. Mais depuis trente ans, date qui coïncide avec la découverte de l'énergie magique, cet être immortel semble s’être fixé. Désormais lieutenant de l'armée uhrienne, il répond étrangement à l’autorité de Gongora, conseiller de la République de Uhra, auquel il semble avoir étrangement prêter allégeance… Derrière cet apparent classicisme, Lost Odyssey constitue certainement ce que Sakaguchi a réalisé de plus simple et de plus touchant au cours de ces dernières années. Bien aidé par le fabuleux travail d’écriture de Kiyoshi Shigematsu, le titre développé par feelplus met en scène une fresque quotidienne à l’humanité débordante, qui surprend autant qu’elle émeut. Avènement d’une narration épurée, délicatement coloré par des effets d’ambiance épars, quelques délicats coups de pinceau et une mélodie pleine d’opportunisme, l’ordinaire de ces petits pans de vie propose une proximité émotionnelle rarement vu dans l’univers ludo-numérique. Pour atteindre un tel niveau d’immersion, chacune de ces séquences ne sont constituées que d’une somme de texte, portant l’interprétation, le ressenti, l’imagination de chacun à sa quintessence. Le moindre joueur au cœur tendre aura vite fait d’embrasser la cause de ce – facultatif – Millénaire de Rêves, afin d’approfondir la personnalité de notre héros. Car aussi étonnant que cela puisse paraître, la tourmentée quête introspective de Kaim, passera avant tout par ces quelques séances de lecture.
Omnisciente mémoire perdue
Bien que révolutionnairement anachronique dans sa narration, Lost Odyssey ne propose aucune formule miracle à l’heure de transcender son gameplay ; si ce n’est que de remplir absolument toutes les conditions nécessaires à tout bon RPG qui se respecte. Aussi daté que son vecteur émotionnel, le game design du titre est façonné sans trop de surprise, à partir des plans d’un bon vieux Final Fantasy, au schéma approximatif ô combien efficace du ”ville, exploration, donjon”. ”Bon vieux Final Fantasy” oblige, les nombreux donjons que Kaim et sa troupe seront amenés à traverser jouissent d’un level design labyrinthique, à l’ancienne, bien loin des simili-couloirs du trop largement surestimé Eternal Sonata. Avec leur dose de casse-têtes et de chemins accidentés, ces derniers font immanquablement penser aux plus belles heures de la Super NES et de l’ère 32bits, ce qui n’est pas forcément pour nous déplaire. A ce titre, notez bien que le second DVD est le plus éprouvant en la matière, et qu’il n’est en aucun cas le reflet de l’intégralité du titre. A son amorce, préparez-vous à serrer les dents, d’autant que le titre nous impose une progression plafonnée par lieu, où le level-up à outrance n’est guère possible passé un certain niveau. Cela dit, le niveau de difficulté est suffisamment bien balancé pour que l’on n’ait pas à taper un scandale, l’essentiel des boss requérant surtout d’un minimum de préparation et de stratégie. En effet, l’appréhension des combats se veut un poil plus longue qu’à l’accoutumée, les ennemis n’hésitant pas à jouer plus que de raison sur les altérations d’état notamment.
Cette habile transition permet d’introduire l’équipement des accessoires, qui disposent évidemment de caractéristiques propres (protection élémentaire, augmentation du nombre de HP/MP, anti-kelolon, utilisation des magies...), mais qui agissent différemment en fonction de la nature du porteur. Les humains, fortement marqués par une spécialisation, obtiennent de façon très classique des compétences liées à leur domaine à force de levelling ; tandis que les immortels devront passer par un apprentissage via ces accessoires, ou en créant un Lien de Compétence avec un coéquipier mortel pour bénéficier entièrement de ces aptitudes qui seront ensuite à placer librement, mais surtout en fonction de l’adversaire qui fera face. Mais l’aspect stratégique des combats – en rencontre aléatoire, et au tour par tour – ne s’arrête pas à une simple sélection de compétences et d’accessoires. A l’image de nombre de ses prédécesseurs, Lost Odyssey propose deux lignes de combattants distinctes, où les éléments vulnérables sont logiquement placés en retrait. Mais ici, ce n’est pas l’éloignement qui permet d’améliorer les capacités défensives de la seconde ligne, mais une jauge appelée Condition de Garde (CG). Celle-ci, formée grâce à la somme des PV des personnages – ou des ennemis d’ailleurs – positionnés en première ligne permet d’amortir les chocs encaissés par les occupants de la seconde ligne. Le front mis à mal, c’est toute la ligne arrière qui se trouve alors à découvert. Et inutile, de penser à la restaurer par une simple potion médicinale. Une fois ébranlée, elle demandera un soin ou des compétences spécifiques pour pouvoir être regonflée. Enfin, la dernière spécificité du système de combat se trouve dans les anneaux à équiper, qui octroient tout un tas de bonus (Tueur Mécanique, Tueur Organique, augmentation du taux de Coup Critique..) lors d’une simple attaque physique. Cependant, et parce que rien n’est gratuit, il faudra tenter de faire valider son attaque grâce à un petit exercice de timing à activer grâce à la gâchette RT, ce qui n’est pas sans rappeler vaguement l’attaque au Gunblade de Squall dans Final Fantasy VIII.
Mille et un printemps
Autant être honnête, d'un point de vue technique, Lost Odyssey trahit un développement pas totalement maîtrisé, qui pourra faire fuir les apôtres de la modernité. Passé l’introduction d’esbroufe qui ne marque aucun temps mort entre cinématique et séquence in-game, le titre développé par feelplus multiplie les lacunes techniques auxquelles l’Unreal Engine 3 ne semblait pourtant pas coutumier. Particulièrement grossières, elles se traduisent par une absence totale d’optimisation des accès-disque (obligeant parfois à patienter une bonne vingtaine de secondes pour une pauvre petite cut scene pas plus longue), un frame rate anormalement bas, une réalisation graphique inconstante, ainsi qu’un moteur physique vestige de la préhistoire. Entre les faciès de seniors particulièrement ridés, chiadés et expressifs, et l’animation type balaie mal rangé, on en vient encore à se demander comment a été appréhendé l’aspect technique du titre pour accoucher d’un résultat aussi contrasté. Cette dichotomie qualitative semble être une sorte de constante dans la production, puisqu’elle se retrouve à peu près à tous les niveaux créatifs du jeu. On regrette par exemple que le character design particulièrement expressif, résolument mature et singulier de l’inégalable Takehiko Inoue (sans aucun doute le mangaka le plus talentueux officiant actuellement, auteur notamment de Slam Dunk et de Vagabond) n’ait pu bénéficier d’une modélisation à la hauteur. De la même manière, la direction artistique du titre soulèvera de nombreuses interrogations chez les personnes de bons goûts, notamment au niveau des accoutrements féminins. Des heures de débat que devraient éviter les très bonnes compositions de Nobuo Uematsu, enfin de retour aux affaires après une piètre performance sur Blue Dragon.