
La difficulté première que les
J-RPG actuels ont à surmonter n'est pas forcément le retard technique, le manque de liberté ou la carence imaginative, mais bien l'utilisation d'un nouveau concept, d'une autre manière de percevoir le genre. Non que les
RPG classiques, agrémentés de tour par tour
med-fantasy avec héros juste pubères, partent sur de mauvaises bases, mais beaucoup se contentent d'appliquer ensuite à la lettre une sorte de cahier des charges qui en découle.
Xenoblade Chronicles a récemment montré que malgré son postulat loin d'être original, il s'était faufilé plus ou moins habilement entre les gros écueils de la redite, sans jamais perdre de vue l'intérêt du joueur. La recette n'est donc pas mauvaise, elle manque juste de nouveaux ingrédients et d'un liant pimenté qui réveille un goût s'éteignant depuis bientôt cinq ans. C'est avec cet état de fait qu'est parti Sakaguchi – et par extension
Mistwalker – baluchon de 25 années de
Final Fantasy sur le dos, bien décidé à le troquer contre une nouvelle besace à remplir. Abandonnant quasiment son descriptif de
RPG,
The Last Story est une évolution vers une nouvelle construction, réussissant là où
Final Fantasy XIII s'était cassé les dents, par manque de cohérence et à cause des chaînes imposées par la licence. Mélange de
TPS et d'
Action-RPG, le jeu prend la progression très spécifique du premier - petites touches nerveuses scindées par des phases de combat intenses - et le côté plus réfléchi du second, via un mélange d'action directe et d'éléments tactiques. Une mise en commun surprenante sur le papier qui s'impose tout naturellement dans le cours du jeu, grâce à un système réglé au millimètre, qu'il serait presque possible d'attribuer à
tri-Ace, en méconnaissance totale de cause.
True Story

Pur jeu à système,
The Last Story a bénéficié du travail très appliqué de
Mistwalker, qui a cherché à donner non seulement une grande variété d'approches du combat, mais aussi de très nombreuses possibilités de
gameplay dont il est possible de tirer parti pour remporter ces batailles. Une richesse que le joueur est libre d'utiliser ou non sans graves conséquences sur l'issue d'une bonne partie des batailles, mais qui paradoxalement n'apparaît pas du tout comme un élément dispensable. La force du système de combat est justement d'amener à comprendre comment s'amuser et être efficace dans un même mouvement. Un confort de jeu qui vient justement de cette façon intelligente de donner de la matière très régulièrement, les ultimes subtilités de
gameplay arrivant à quelques petites heures de la fin du jeu. Une progression émaillée d'évolutions qui casse donc toute incursion d'une possible redondance, tout en s'introduisant via de nombreux tutoriaux, courts, précis et toujours mis en situation. Un apprentissage doux très marqué
Nintendo qui agit dans le sens de cet équilibre agréable entre accessibilité et complexité, fluidité propre à assez peu de titres, mais dont fait partie
The Last Story. Faisant également figure de jeu de groupe, il suit les traces de
Xenoblade Chronicles et
Final Fantasy XII avec la présence d'un seul personnage leader, dans un ensemble allant de 2 à plus de 6 acolytes, suivant les missions. Décidément très proche du jeu de
Monolith Soft, il met lui aussi l'accent sur l'aspect social avec un pan entier du système de combat centré sur la protection des alliés. Elément au coeur de l'intrigue, le pouvoir Magnétisme de Zael est en substance une manifestation visible de l'
aggro, notion à la base des affrontements de nombreux
MMORPG. Une fois déclenché, ce dernier force les ennemis à s'en prendre directement, et uniquement, à Zael. Une trouvaille intelligente qui fait passer la vision de son groupe de simple amas de
PNJ à une véritable forme indissociable qu'il faut protéger. Certes, pour espérer s'en sortir vivant, mais surtout pour conserver cette interdépendance qui influe ensuite sur l'attachement à ces différents personnages lors des passages scénarisés. Ce magnétisme est une façon de détourner l'attention des adversaires afin que les mages, fragiles et loin d'être pressés de lancer leurs divers sorts, puissent agir de leur côté. Le risque est alors de se faire submerger et d'être mis à terre en quelques secondes, ce qui arrive parfois lorsque le camp opposé est un minimum organisé. L'intérêt est alors de savoir quand se faire oublier pour essayer de prendre l'ennemi à revers, ou simplement pour chercher une manière détournée de prendre l'avantage. Et il y a de quoi faire tant la majorité des zones de combat est pensée pour favoriser une variante du
duck & cover et, plus surprenant, l'imagination.
Un confort de jeu qui vient justement de cette façon intelligente de donner de la matière très régulièrement, les ultimes subtilités de gameplay arrivant à quelques petites heures de la fin du jeu."

Disséminées et bien visibles sur le champ de bataille, des bombes permettant d'étourdir les ennemis, de créer une zone de soin ou d'enflammer le sol, respawnent régulièrement et offrent une alternative aux éléments du décor qu'il est possible de faire chuter. Autre solution : se cacher derrière un mur ou un pilier provoque une désorientation des poursuivants, qui s'ornent alors d'un point d'interrogation bien visible. Le moment idéal pour lancer une attaque spéciale, dite Assaut, qui occasionne des dégâts plus importants que les actions de base. Chaque zone est un terrain de jeux dans le sens premier du terme, où la dimension purement ludique dirige le
game-design.
The Last Story est un jeu qui donne sans demander de sacrifices au joueur tout en sachant le rétribuer. Une atmosphère fun qui pose donc des bases idéales pour profiter pleinement des autres subtilités réjouissantes du système de combat. Notamment la gestion des sorts. Une fois lancés, ces derniers laissent une trace au sol qui reste marquée quelques secondes. Agissant sur un espace délimité par un cercle, celle-ci peut être dispersée en gaspillant un fragment de la jauge de
TP. De quoi étendre son effet à l'ensemble des alliés/ennemis présents. Par exemple, répandre une magie de glace pénalisera les adversaires en leur appliquant le malus "glissade", qui les fait chuter et les laisse sans défense un court laps de temps. Une stratégie à utiliser avec parcimonie, la barre de
TP servant dans le même temps à donner des ordres à ses coéquipiers une fois pleine. Mus par une
I.A. très correcte, malgré quelques ratés dans le placement, ceux-ci méritent toutefois quelques petites directives pour exceller. Possédant chacun deux types de compétences et une sorte de furie qui se déclenche uniquement une fois la tension à son comble, ils ne demandent pas un
coaching laborieux et orienter leurs futures actions ne prend qu'une poignée de secondes. Juste histoire de peaufiner sa stratégie avant de se replonger dans le dynamisme très appréciable des combats, surtout en mode manuel, autorisant le joueur à directement donner les coups en lieu et place des assauts automatiques. Il faut juste chercher un tantinet dans les menus. Une ouverture saine à la nervosité et à la liberté d'action qui a également ses défauts, comme une surabondance justement de sources de bonus pour le joueur et la simplicité , du coup, de mettre en défaut l'ennemi. Une facilité sur un détail qui s'étend sur l'ensemble, le jeu étant bien trop aisé,
boss mis à part. Sources de duels très originaux et jamais similaires, ils demandent de réunir l'ensemble de ses connaissances et un bon sens de l'observation pour être éliminés. Une petite pointe dans une globalité relativement lisse, qui ne laissera pour autant pas les habitués du genre sur le bord de la route grâce encore une fois à la finesse ciselé de son système de jeu. Comme
Nier,
The Last Story fonctionne plus sur la qualité de sa progression et ses idées que sur son challenge ou sa réalisation.
The Last Century

En collaboration avec
AQ Interactive, anciennement
Cavia pour les amateurs de la série
Drakengard,
Mistwalker ne s'est pas associé avec le studio le plus capé en ce qui concerne la réalisation. La qualité visuelle de
The Last Story s'en ressent avec des textures alternativement baveuses et granuleuses, et un
framerate qui tutoie parfois les 15 images/seconde dans des situations où le nombre d'éléments affichés n'est pourtant pas exceptionnel ; surtout face aux combats où les effets lumineux fusent dans tous les sens et où - globalement – la fluidité ne faiblit pas. Seuls les modèles des personnages principaux rendent un peu d'honneur aux maigres capacités de la Wii. En binôme avec des problèmes de positionnement de la caméra en combat, ces gros bémols arrêteront sûrement une bonne partie des joueurs habitués à davantage de finesse,
Xenoblade en tête.
The Last Story relève en revanche la tête au niveau de la direction artistique, très typée Europe médiévale à la Hideo Minaba, et du magnifique
chara-design de Kimihiko Fujisaka ; qui poursuit dans la lignée de
Drakengard avec des personnages racés toujours auréolés d'une sorte de gravité accrocheuse. Une dernière définition qui s'applique également à l'ambiance du jeu de
Mistwalker, qui se déroule la majeure partie du temps dans des environnements fermés à l'atmosphère claustrophobique. Un enchevêtrement géant de couloirs et de cavernes qui repose le problème de la linéarité, grande croix de
Final Fantasy XIII. La différence est qu'ici, l'interactivité avec le décor prime et que le découpage en courte sessions d'affrontements, intenses et ludiques, rythme de manière idéale l'avancée dans ces dédales aux teintes quasi monochromatiques. Avec sa quasi
unité de lieu et sa durée de vie qui touche à peine la vingtaine d'heures dans un premier
run,
The Last Story n'est pas à proprement parler un
RPG. Il est une sorte d'objet hybride, un jeu d'action aventureux qui accorde toute son importance à la narration avec un déroulement très littéraire, amorcé d'ailleurs dans
Lost Odyssey. A défaut d'avoir une histoire épique et des rebondissements à la
Xenogears, le jeu se laisse tout simplement suivre, le focus étant mis, comme souvent avec Sakaguchi, sur les petits détails humains. Le manque de profondeur des antagonistes et de toute la partie du casting qui n'inclut pas le groupe de héros étant à ce titre surprenante.
The Last Story n'est pas le
RPG sauveur du genre, ni un titre carré et bien fini, mais reste la meilleure production de
Mistwalker depuis sa création, tout du moins la plus intéressante. Lâchant la rampe et titubant dans ses nouvelles chaussures pas bien taillées, il ouvre une voie dans laquelle le genre doit en un sens s'engouffrer pour prendre une respiration. En cela,
The Last Story se rapproche une nouvelle fois de
Nier. Deux titres très imparfaits, pénibles et parfois petits bras, mais qui sont des pas en avant. La dernière histoire pourrait bien être la première.