JeuxActu : Alone in The Dark est une franchise très importante, c’est même une des rares séries françaises à avoir une telle envergure. Qu’est ce que ça représente d’être en charge d’un tel projet ?
David Nadal : C’est une excellente question. C’est déjà une grande fierté. Il faut savoir que par rapport au premier Alone in The Dark, je n’étais pas encore dans l’industrie du jeu vidéo quand il est sorti. J’ai joué au premier et c’était une grosse claque pour moi à l’époque à la fois d’un point de vue technologique et pour l’expérience. J’avais halluciné à ce moment là et je n’aurais jamais eu qu’un jour je puisse avoir l’honneur de ramener de nouveau la franchise à la vie car c’est un peu la tâche que l’on m’a confiée. C’était, à la base, une volonté de l’équipe car on savait qu’Alone était une franchise qui appartenait au groupe, tout comme nous chez Eden. Il y a quelques années, on a émis le souhait qu’on nous donne une chance sur ce produit et je suis et l’équipe est très très fière de pouvoir y participer.
JeuxActu : Comment analysez-vous l’évolution de la série qui a connu des hauts et des bas ? Quels éléments avez-vous retenu de la série et quelle en est la spécificité au delà d’avoir institué un genre ?
David Nadal : C’est vrai qu‘elle a mis en place ce genre, le survival horror. Ce que j’aurais tendance à dire, c’est que la série n’a pas assez évolué à notre goût. Le premier était une grosse claque, le deuxième, c’était simplement une "suite" et c’est vrai qu’à partir du troisième, voire même le quatrième, même s’il y avait quelques innovations technologiques, je pense que le marché avait besoin de quelque chose de radicalement différent. Ce qui s’est passé, c’est que la série s’est faite dépasser par des Resident Evil ou des Silent Hill. Avant de récupérer la franchise, nous avons voulu analyser le pourquoi du comment et on s’est rendu compte qu’en fait, le plus gros problème est que le survival horror, en tant que genre, avait très peu évolué et qu’aujourd’hui, les joueurs avaient besoin d’autre chose. Je mettrais Resident Evil 4 à part parce que je pense qu’il a vraiment été dans le bon sens et a amené une avancée significative au genre. En gros, notre objectif est d’aller encore plus loin.
JeuxActu : Le survival horror est un genre en pleine évolution. Il y a Resident Evil 4 mais aussi des jeux comme FEAR ou encore Condemned qui va sortir sur 360. Comme vous situez-vous par rapport à tous ces jeux qui vont dans des directions un peu différentes ?
David Nadal : Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que là, vous venir de citer FEAR, Condemned, un First Person Shooter PC et un jeu console. Nous sommes clairement inscrits dans cet objectif, le genre survival horror est trop étriqué et à la limite, on n’essaie plus d’y coller vraiment. Aujourd’hui, le survival horror, c’est le thème d’une histoire, d’un univers et ça n’est pas forcément lié à un jeu en vue à la troisième personne avec caméra fixe comme on l’avait auparavant. Ca peut vraiment être étendu à des choses comme un FPS comme ce qu’a très bien fait Monolith. Ce qu’on a décidé de faire, c’est d’amener la série vers un côté plus orienté action. En gros, s’il faut mettre un nom à ce qu’on essaie de faire, c’est un Action Survival Thriller.
JeuxActu : Donc on aura bientôt un nouvel acronyme, les AST !
David Nadal : (rire) La première chose que l’on a faite est de faire une étude sur les survival afin de voir comment les joueurs les percevaient. C’est vrai qu’ils ont envie de vivre des aventures et après que ce soit un FPS, un Third Person, très horreur ou très puzzle, à la limite, c’est accessoire. Ce qui est important, c’est l’aventure qu’on va faire vivre au joueur. On a décidé de faire vivre une aventure très orientée action avec une interaction avec l’environnement qui sera, je pense, assez révolutionnaire. On va essayer de pousser le côté "je fais les choses vraiment".
JeuxActu : J’imagine que vous avez du vous intéresser aux mécanismes qui régissent la peur. Il y a un dilemme à ce niveau car la peur est bien souvent suscités par des choses que l’on ne voit pas et on est dans un univers très visuel, le joueur en réclamant toujours plus, on est tenté d’en rajouter dans les effets.
David Nadal : Vous avez dit une chose très intéressante : la peur vient de ce qu’on ne voit pas. On parle de next gen’, de révolution graphique donc oui, évidemment, on va rajouter des détails graphiques qui sont de l’ordre du "gore", du sang plus réaliste mais, comme je le dis souvent, la peur n’est pas du tout liée à une génération. Je pense qu’on est capable de faire peur avec un jeu en mode texte ! En gros, la peur, c’est dans la tête et aujourd’hui, la peur, c’est dans l’anticipation de ce qui va se passer. Donc, on va scénariser les éléments, qu’ils soient très action ou visuellement très impressionnants. C’est la façon dont le joueur va anticiper – et je ne peux pas aller beaucoup plus loin sans dévoiler certains éléments – qui va déterminer la peur. La peur d’ouvrir une porte, par exemple. On va anticiper ce qui arrivera à partir de notre vécu du jeu. Un bruit qui est récurrent, si on l’entend à ce moment-là, si on l’assimile à quelque chose de malsain, cela va amener la peur. On essaie de suggérer énormément les choses. On montre beaucoup mais avant de montrer, on suggère. Dans le jeu, par exemple, avant de voir un monstre, on l’aura beaucoup entendu, on l’aura vu par bribes. On ne lâche pas, dans le premier niveau, un monstre qu’on peut buter comme un zombie, ce n’est clairement pas l’objectif. Tout ça n’est pas lié à la technologie.
JeuxActu : Atari a déclaré vouloir atteindre un public plus large avec Alone in The Dark. Qu’est-ce que cela induit pour vous concrètement ?
David Nadal : C’est même nous qui avons eu cette envie là. Aujourd’hui, ce qu’on souhaite, c’est que le jeu soit joué par le plus de personnes possible. Le survival horror n’est pas un marché de niche, Resident Evil s’est vendu à plusieurs dizaines de millions d’exemplaires. C’est vrai qu’on voulait rendre le genre un tout petit peu plus accessible. Ca veut dire qu’on a identifié chez les joueurs qui étaient un peu plus réfractaires au genre le fait qu’ils n’aimaient pas tout ce qui est "puzzle soliving", c’est à dire ces puzzles un peu cérébraux qui ne sont pas forcément pas forcément très évidents ni très logiques, même s’ils plaisent à une certaine catégorie de joueurs. On a essayé de tourner les puzzles de façon différente, encore une fois en les orientant un peu plus action même s’il en restera dans l’aventure et étendre un peu toutes les frustrations que génèrent les survival classiques pour plaire à la masse. Sur Resident Evil 4, ils ont pris une option là-dessus en ouvrant pas mal le champ. Les gens qui y ont joué, ce ne sont pas que des hardcore gamers qui aiment le survival horror.
JeuxActu : Peut-on parler du contexte global dans lequel va se dérouler le jeu, le héros, l’époque et les ressorts qui vont l’animer ?
David Nadal : Dans notre approche de la peur, on va essayer que le joueur s’identifie au héros et qu’on utilise au maximum les croyances ou les éléments réels de la vie quotidienne pour ancrer notre jeu dans la réalité. Le jeu se passe dans un univers très contemporain, entre 2004 et 2007, même si l’année importe peu. Le lieu sera un lieu réel puisque le jeu se passera dans Central Park à New-York car c’est un parc qui est connu du monde entier. Je pense que tout le monde en a, au moins, déjà entendu parlé et même d’un point de vue visuel, il y a tellement eu de films qui y ont été tournés qu’on en a une imagerie, même inconsciente. Ca va nous donner du crédit par rapport à l’histoire qu’on va raconter. Pour le héros, on a décidé de conserver Edward Carnby car nous respectons beaucoup la série. On va se servir du fait que les anciens épisodes se déroulaient dans les années 40-50, on va expliquer de façon détaillée ce qui s’est passé entre la version des années 40 et maintenant. Il y a certaines passerelles avec les premiers Alone. Le thème global de l’histoire sera la mort. Encore, une fois, tout le monde s’est un jour posé la question de savoir ce qui se passe après la mort. On va réutiliser toutes les croyances, les religions, les cultures et mélanger un peu tout ça pour donner une histoire crédible.
JeuxActu : En parlant de la mort, cela nous amène à Lovecraft, vous avez décidé de vous en affranchir. Est-ce que vous allez puiser votre inspiration dans le cinéma où de nouveau films ont amené des nouveautés dans le domaine, notamment les productions asiatiques ?
David Nadal : Pour parler de Lovecraft, c’est plus un hommage qu’une véritable direction artistique. Si on parle plus particulièrement des monstres ou de l’ambiance, on a quelques clins d’œil. Quelques tentacule par-ci, par là, on va dire. Globalement, on a mis le gameplay et l’interaction au premier plan du jeu et on a designé nos monstres en fonction de ce dont on avait besoin. On a une charte graphique globale qui est plus liée à notre histoire qu’à des inspirations, même si elles existent. Elle sont liées à la thématique de la mort et à ce que vont être amenés à faire les monstres dans le jeu.
JeuxActu : Que vous a apporté le travail sur Xbox 360, au delà de la puissance de la machine ?
David Nadal : On a pris un peu le contre-pied de ce que font les autres puisqu’on a décidé d’investir l’essentiel de la puissance dans l’interaction. Je ne peux pas trop développer puisque c’est quelque chose qu’on va dévoiler un peu plus tard mais on va avoir clairement une interaction très forte avec les éléments qui nous entourent. On delà de ça, on utilise évidemment les capacités graphiques de la console et ses capacités de puissance brute pour un affichage, non pas réaliste mais ce qu’on appelle un "réalisme cinéma". On travaille la photographie de l’image, à la manière de ce qui se fait au cinéma. Il y a tout un processus de filtres, de contraste, d’éclairage et d’effets spéciaux qui ont été rajoutés et qui font très naturels mais qui donnent un aspect film. Ce sont ces éléments que l’on pousse très fort avec un aspect très cinématographique pour que les joueurs se sentent dans un univers très réaliste.
JeuxActu : D’ailleurs, à propos d’aspect graphique, est-ce que les images et la vidéo qu’on a pu voir sont tirées de séquences in-game ?
David Nadal : L’essentiel de ce que l’on a vu dans le trailer et les images est du in-game. Les caméras ne sont pas forcément celles du jeu car on s’est parfois permis de placer les caméras de manière plus dramatique afin de mettre en avant l’acuité graphique. Il y a très peu de cinématique dans ce que vous avez vu. Ce que nous appelons cinématique, ce sont essentiellement des phases où le joueur perd le contrôle car nos cinématiques sont faites en temps réel de toute façon, il n’y pas de vidéo ni de CG. Le seul passage qui n’est pas interactif est celui où Carnby se raccroche à une corniche mais quand il glisse ensuite, on le contrôle. Ensuite, on va devoir se hisser sur la corniche, tout est complètement interactif. On a décidé de ne pas montrer d’éléments plus spectaculaires que ce qu’on a déjà montré et de donner les visuels les plus honnêtes qu’on puisse avoir, sachant qu’on pense faire encore mieux même si sur certains éléments, on est déjà satisfait.
JeuxActu : Enfin, de manière plus globale, Eden est sur deux gros projets simultanément, ce n’est pas trop dur à gérer ?
David Nadal : C’est à la fois difficile et une grande chance. On a des synergies qui se créent entre les deux équipes. On essaie de maximiser les échanges de technologies et de procédures et pour nous, c’est une grosse force. La volonté du studio a toujours été de faire des jeux de qualité et on a identifié deux expertises : l’action/aventure et la course et elles cohabitent très bien au sein du studio.