Eventrer, éviscérer, démembrer, écraser, broyer, c’est votre passion. La logique voudrait que vous ne puissiez donner libre cours à vos talents qu’en devenant chirurgien et / ou serial killer. L’Histoire faisant bien les choses, vous avez le privilège d’arriver à maturité physique au moment même où le monde a besoin de malades dans votre genre. En d’autres temps, vous auriez massacré tous les petits morveux qui, inquiets de votre caractère différent, auraient tenté de le contenir en vous remodelant à coups de cailloux. Aujourd’hui, vous voyez plus grand. Et si vous êtes toujours ce type bizarre qui aime le sang et qu’on craint un peu, vous êtes également un héros en puissance. Parce que du sang, il en coule dans les veines des cohortes qui déferlent sur les terres aztèques, scandinaves, égyptiennes et grecques. Et ce sang-là, il s’agit de le faire couler. Vite, et en grosses quantités.
Moi vois, moi tue
Loki est un jeu qui fait mal, et qui le fait bien. Prenant totalement le contre-pied de l’autre casse-monstres mythologique, le surestimé et aseptisé Titan Quest, la dernière production de Cyanide joue la carte de la violence brute, de l’affrontement sans détour. Ici, les armes blanches travaillent sans relâche, l’hémoglobine gicle des corps par hectolitres, les araignées géantes crissent quand elles meurent, les ours hurlent et l’interminable caravane surnaturelle qui se rue sur vous trépasse peu à peu. Pas de finesse, pas de stratégie, vous êtes là pour massacrer, en 3D et en vue de dessus, tout ce qui bouge. Découpés en zones de tailles variables, mais qui offrent rarement plus d’un quart d’heure de jeu, les quatre actes de Loki vomissent de l’ennemi dans des proportions assez ahurissantes. Tous plus stupides les uns que les autres, développant des tactiques offensives navrantes, ces opposants ont toutefois l’instinct de groupe suffisamment développé pour que vous vous retrouviez régulièrement dans des positions délicates, en l’occurrence encerclé par une meute d’une dizaine de créatures unies par le désir de vous voir crever dans d’atroces souffrances. Première originalité de ce Loki, la mort n’est pas pénalisante. Vous reprenez conscience après chaque disparition au début de la zone avec tous vos attributs, et ne perdez que le temps qu’il vous faut pour rejoindre votre point de chute. Gros joueurs de tous les ersatz de Diablo parus depuis la sortie du maître, les développeurs parisiens ont tenté de mettre au placard tout ce qui leur avait déplu. Et se voir délester de x-milliers de points d’XP à chaque décès faisait clairement partie de la seconde catégorie. Tant mieux, car on meurt beaucoup dans ce Loki pas vraiment difficile mais extrêmement laborieux. Passé le 340ème monstre éliminé sur la même carte, l’attention se relâche, le joueur tente d’accélérer un peu sa progression, et finit généralement par le regretter.
Dites non aux araignées géantes
Taper, taper, taper, la répétitivité est l’un des défauts récurrents du genre, et malgré quelques bonnes idées, Loki tend lui aussi à s’essouffler. Incarnant, au choix, une shaman aztèque très proche des esprits de la nature, une amazone grecque portée sur le lancer de disque tranchant, un explosif mage égyptien ou un guerrier scandinave qui personnifie parfaitement le terme de "barbare", vous devez visiter les contrées natales de ces héros. Des décors exotiques, parfois ratés, parfois très beaux, souvent rehaussés de chouettes effets, mais hélas pas bien variés et qui tendent tous à rappeler des expériences ludiques plus ou moins récentes. Trois chapitres sur quatre donnent ainsi la sale impression de n’être que des versions tout 3D et normal mappées de Diablo II, tandis que l’escapade grecque fait, inévitablement, penser à Titan Quest. Evidemment, et comme le rappelait Thomas Veauclin, directeur artistique, lors de notre dernière rencontre, on ne peut pas réinventer la Grèce ou l’ancienne Egypte. Ce que l’on peut néanmoins réinventer, c’est le bestiaire de ces différentes contrées. Et là, il y a encore du boulot. Si un indéniable travail créatif a été effectué, visant notamment à rendre le design les créatures plus agressif, quelques monstres habitués du genre auraient bien fait de déclarer forfait pour cette bataille-là. Araignées géantes déclinées à toutes les sauces (de glace, tarentule, …), nuées de guêpes, les fautes de goût sont nombreuses. Le déroulement du jeu (vous débutez par l’acte de votre héros, puis poursuivez comme bon vous semble) dévalorise d’ailleurs votre champion. Alors que vous avez conclu un acte en butant des boss douze fois plus grands que vous, vous vous retrouvez quelques instants plus tard, à débuter un nouvel acte en broyant du jaguar. Pas vraiment palpitant. C’est toutefois durant ces joutes contre de la piétaille démoniaque que les sensations de jeu sont les meilleures. Les clics que vous multipliez sur vos ennemis afin de les attaquer sont autant de mises à mort, et un sentiment de toute puissance guerrière envahit rapidement le fendeur de crâne que vous êtes. Quel que soit le héros sélectionné, et que ce soit à l’épée à deux mains ou au sort offensif, quand ça tape et ça touche, ça fait mal. Les sensations sont bien moindres contre les boss. Quatre figures mythologiques majeures se dressent sur votre route dans chaque monde, toutes plus énormes et puissantes les unes que les autres. Est-ce la faute à une bande-son trop effacée, ou à la pseudo-volonté d’introduire, sans convaincre, une facette tactique dans chaque bataille, toujours est-il que ces duels se torchent en moins de temps qu’il n’en faut pour faire le quart d’une petite zone de jeu. Pour le pic d’adrénaline, il faudra repasser…
La liste noire
Loki vous offre de toute façon largement le temps d’apprendre à gérer la pression qui pèse sur vos solides épaules. Entre les temps de chargement à rallonge et les ralentissements en pagaille, on passe parfois presque autant de temps à attendre et à pester qu’à jouer. La production française risque également de perdre quelques clients avec son système d’inventaire révolutionnaire. C’est simple, Cyanide réinvente le listing : dès que vous ramassez sur la dépouille d’un ennemi ou dans un coffre, son nom apparaît dans une fenêtre d’inventaire divisée en différentes rubriques. Vous pouvez évidemment voir la bête en cliquant sur son patronyme, mais vous ne disposez à aucun moment d’une vue d’ensemble de vos possessions et ne pouvez parfaitement réorganiser le contenu de votre besace. Si vous n’avez pas forcément besoin de faire le tri parmi les 16 épées à deux mains ramassées durant votre dernière demi-heure de jeu, l’impossibilité de trier vos différentes runes, grâce auxquelles vous pouvez customiser votre équipement, est autrement plus crispante. Le système d’aptitudes ne manque pas non plus de laisser dubitatif. Comme dans tout bon casse-monstres, plus vous tuez, plus vous gagnez de points d’XP et montez en niveau. A chaque niveau, vous obtenez quelques points à attribuer à cinq caractéristiques de votre héros (force, intelligence, etc.). Pour peu que vous vénériez un dieu de votre mythologie, chaque meurtre remplit également une jauge de foi qui, une fois pleine, vous permet d’obtenir un point à utiliser dans l’arbre de compétence lié à votre patron. Rien de bien neuf sous le soleil de Râ, sauf qu’ici, vous pouvez changer de divinité quand bon vous semble, et attribuer des points aux compétences de trois arbres différents. Une bonne idée, sauf qu’en jouant ainsi, vous ne débloquerez jamais les pouvoirs de haut niveau, évidemment les plus intéressants, et ce alors que les skills d’entrée de gamme sont parfois redondants. Au final, et considérant l’équilibre actuel du jeu, tenter le personnage polythéiste n’a absolument aucun intérêt.
Dieu mineur