Votre première préoccupation réside donc naturellement dans l'apprentissage du geste auguste du semeur. Votre coquille vide d'avatar, prête à se remplir de l'humanité qui l'entoure, emménage dans un lieu qui ne fait plus l'obsession des autochtones, les Ruines de Pâques, dont le toit est composé d'une immense surface cultivable. Pourquoi se fatiguer à récolter courges, maïs et tomates disponibles au supermarché du coin ? Pour le fun. A vrai dire, le travail de récolte n'influe pas directement sur votre progression, la clé du jeu résidant dans la récupération de cristaux de couleurs, lesquels serviront à élargir votre surface cultivable, et donc à cajoler dans le sens du poil les esprits fâchés. S'il est donc intéressant de s'activer à la tâche au moins pendant la première année, histoire de découvrir les caractéristiques de la saison en cours (en dehors de vos cultures, la nature vous tend naturellement quelques victuailles, notamment durant l'automne) la suite du jeu dépendra plutôt de votre humeur. C'est à partir de ce moment que les maintenances hebdomadaires chez le Docteur Théo (prétextes à déclencher des événements spéciaux) prennent fin et que votre gentil cyborg devient en quelque sorte indépendant. Il ne tient qu'à lui de prendre conscience du monde qui l'entoure, et de faire attention au calendrier, car plus personne ne viendra vous prévenir que la fête de Noël a lieu le 24 décembre. En dehors des cultures, du bétail, de la récolte, et de l'exploration, il existe quelques tâches annexes, toujours destinées à accroître vos compétences humaines, comme la cuisine. Il suffit pour cela de suivre chaque semaine les émissions culinaires sur votre superbe écran plasma (les paysans aussi ont droit à la HD) et imiter les recettes plusieurs fois jusqu'à parvenir à quelque chose de digeste. L'objectif sous-jacent est donc de développer vos traits de caractère et de conscience grâce à un sain labeur quotidien et en traversant divers événements.
"Aimez tout ce qui est vivant" (Osamu Tezuka)
Le problème c'est que le microcosme bucolique d’Innocent Life souffre d'un manque flagrant d'immersion. Certes, la plupart des décors sont superbes et l'île jouit d'une surface aussi importante que variée dans ses conditions climatiques, ce qui tend à rendre le côté exploration sympathique, surtout dès lors que l'on possède son petit quad flambant neuf. Mais il n'en va pas du tout de même concernant le traitement des relations humaines au sein du village. Les personnages ne sont pas attachants pour un sou, le discours est complètement vide, et l'évolution des liens d'une saison à l'autre est quasiment nulle. De même, l'étrange mélange entre technologies futuristes et train de vie agricole classique a du mal à séduire par manque de cohérence. De ce point de vue, la substance d'un A Wonderful Life était plus crédible. La vue du dessus, adoptée par le jeu dans les séquences communautaires, n'aide pas à renforcer un degré d'immersion franchement absent, si bien que l'empathie nécessaire pour ressentir le développement philanthrope de votre avatar n'existe pas. L'idée partait d'un bon sentiment : mettre le joueur dans la peau d'une enveloppe vierge de toutes émotions et donc de tout désirs malsains, pour ne l'aider à s'élaborer que des sentiments constructifs et nécessaires au développement d'une âme riche, humaniste, et sensible aux valeurs perdues : l'amour de sa terre d'accueil, mère fondamentale et nourricière.
En délaissant l'importance journalière des travaux agricoles, Innocent Life semblait se diriger vers une sorte de mélange entre Harvest Moon et Animal Crossing, mais le flagrant manque d'intérêt des relations humaines oriente de préférence le joueur dans l'exploration minutieuse de son environnement naturel. Est-il utile de le préciser, celui-ci ne présente strictement aucun danger, donc ne cherchez pas de jauge de vie où de munitions pour fusil de chasse. Par conséquent, il est bien compliqué de catégoriser Innocent Life dans un seul genre. On peut même lui créditer un zeste de jeu de rôle, notamment lorsque l'on collecte les cristaux dans des grottes, où quand nono le robot renforce ses aptitudes avec l'expérience. Pour se défaire de l'emprise permanente que réclame le travail de la terre, le Docteur Theo vous offrira assez vite un petit frère bien utile pour vous assister. Plus politiquement correct que l'abus d'OGM (on échappe à José Bové en dernier boss) ce robot assistant et docile remplira de nombreuses opérations à votre place. Si c'est toujours le joueur qui doit organiser ses plants et bécher le sol, la suite est prise en charge par votre ami qui ne manquera pas d'arroser chaque jour vos cultures. Enfin, avec sa musique mélancolique et superbe, la gravité de la tâche de Innocent Life prime sur le côté bucolique.
Finalement, n'ayant rien de particulier à faire pour survivre, ni de compte à rendre à qui que ce soit, on réalise qu'il n'est pas nécessaire de se tuer chaque jour à la tâche agricole. Le développement du jeu est bien moins basé sur vos récoltes et sur l'argent que vous en tirerez, que sur l'exploration de votre environnement, lequel s'effectue très progressivement. Trop progressivement peut-être, car si l'on commence à se défaire un peu des contraintes matérielles à compter de la seconde année (déplacement rapide en quad, fin de la maintenance hebdomadaire, aide au développement agricole) il faut savoir que le début du jeu est d'un rythme absolument calamiteux. On constate malheureusement très vite que le petit monde qui vous entoure ne va pas s'avérer bien passionnant, et la nature vierge de l'âme du petit robot dévoué est prétexte à un tutorial soporifique qui semble presque ne jamais prendre fin.