Interrogé par un proche sur la nature de ce drôle de machin auquel je jouais en tapant bruyamment du pied, j’ai répondu : "c’est un jeu dans lequel il faut tirer en rythme sur des choses psychédéliques." Cette dernière épithète a été immédiatement confirmée à l’écran, sur lequel une baleine semi-translucide s’est transformée en un majestueux phœnix cosmique. Réplique immédiate de mon interlocuteur : "pas très intéressant, ça." Effectivement, un rail shooter vaguement musical aux couleurs aveuglantes et qui se termine en moins de deux heures ne présente, dans l’absolu, aucun intérêt. Tetsuya Mizuguchi a pourtant l’incroyable capacité à transformer un concept complètement pipeau en expérience intrigante, voire, aux yeux de certains, en œuvre-culte. Rez est évidemment passé par là, qui a permis à celui qui fut game designer sur Sega Rally de s’affirmer comme un créateur ambitieux et sévèrement barré.
Child of Rez
Child of Eden reprend d’ailleurs quasiment à l’identique la formule de Rez, la maestria technique en plus, et devrait donner lieu au même type de débat. A l’époque, la communauté des gamers s’était en effet déchirée pacifiquement, certains criant au génie là où d’autres ne voyaient dans cette production Dreamcast et PS2 technoïde et ultra-minimaliste qu’une pure escroquerie ludique. Toujours fier de cette création à part, et peut-être pas mécontent d’avoir ainsi déchaîné les passions, Tetsuya Mizuguchi, désormais à la tête du studio Q Entertainment, lui offre donc aujourd’hui une suite spirituelle, que l’on ne pourra cette fois pas accuser d’avoir été conçue pour tourner sur un Atari ST. Ouvertement déconseillé aux épileptiques, Child of Eden vous propulse dans un monde virtuel corrompu, l’Eden, que vous allez devoir purifier à la première personne. L’avatar qui existait dans Rez disparaît au profil d’un simple viseur, que vous baladez dans le cadre bien circonscrit de l’écran. Rail-shooter oblige, les seules libertés dont vous disposez consistent à mouvoir ce curseur voire, notamment lors des combats contre certains boss, à regarder très légèrement sur les côtés. Pour le reste, vous avancerez, propulsé automatiquement, dans des environnements assez saisissants. Univers mécaniques brouillés, forêts artificiels sorties d’une rêverie techno-chamanique et autres échappées spatiales hallucinées, les cinq mondes qui composent cette brève excursion impressionnent par leur niveau finition. Là où Rez brillait par son austérité, son successeur tient du feu d’artifices de couleurs et d’effets et projette son utilisateur dans un kaléidoscope géant. La chose ne sera pas au goût de tout le monde. A trop flirter avec la ligne blanche, Child of Eden sombre en effet épisodiquement dans le kitsch bien nippon et donne parfois le sentiment d’évoluer dans un clip de j-pop futuriste sous ecstasy.
Débarrassé de la manette, le joueur peut tout entier se concentrer sur le déroulé halluciné de l’écran."
Pour accentuer le caractère immersif de son travail, Tetsuya Mizuguchi a souhaité le rendre totalement compatible avec Kinect. Débarrassé de la manette, le joueur peut tout entier se concentrer sur le déroulement halluciné de l’action avec lequel il interagit directement, écartant les ennemis comme d’autres chassent éléphants roses et requins volants suite à des excès de substances illicites. En configuration par défaut, la main droite permet de viser et de locker jusqu’à huit ennemis différents avant de balancer la sauce en effectuant un mouvement vers l’avant, tandis que la gauche contrôle la traçeuse, une espèce de mitrailleuse à projectiles pourpres, indispensable pour détruire les ennemis protégés par un bouclier ou les projectiles. En mode alternatif, tout se joue à une main, et vous passez d’une arme à l’autre en frappant dans vos paluches. Présenté depuis des mois comme le produit capable de convertir les gamers au périphérique de Microsoft, Child of Eden ne comble pas totalement les attentes. Si le contrôle se révèle plutôt instinctif, certains mouvements ne sont pas toujours parfaitement détectés. Rien de dramatique, et il est même plus facile, dans un premier temps, de faire de gros résultats en se trémoussant qu’à l’aide de la manette. Néanmoins, pour exploser les plafonds, les petits défauts de réactivité de Kinect pourront se révéler pénalisants, l’objectif étant d’enchaîner les attaques lockées au rythme de la musique afin de bénéficier d’un coefficient multiplicateur de score. Un exercice un peu périlleux puisque la bande-son, très électronique et extrêmement accrocheuse (hormis quelques envolées sucrées) pour qui n’est pas allergique à ces sonorités artificielles, est parfois totalement recouverte par une pagaille de bruitages. De plus, quand une dizaine de projectiles vous foncent dessus, attendre le bon beat pour s’en débarrasser peut se révéler risqué. Pas de panique, même si vous n’avez aucun sens du rythme, vous parviendrez sans peine au bout de cette expédition sidérale dont la rejouabilité est bien faible, même s’il soit possible, en débloquant divers bonus, de modifier l’esthétique et les effets sonores in-game. L’expérience pourra toutefois en marquer durablement certains, notamment les possesseurs frustrés de Kinect et tous ceux qui avaient flashé sur Rez il y a neuf ans. En faites-vous partie ?