Test réalisé à partir des versions Xbox 360 et PlayStation 3
L’URSS, Kurt Cobain, la Yougoslavie, la Princesse Diana, le Bi-Bop, la liste des victimes des années 90 est longue. De lourdes pertes, partiellement compensées par deux innovations majeures : le FPS et le RTS modernes. Conçus pour le PC par des studios brillants, ambitieux et totalement acquis à la cause de cette plate-forme, les produits-phares de ces deux catégories, qu’ils s’appellent Doom ou Command & Conquer, firent rapidement des envieux du côté d’un marché console en pleine croissance. Les jaloux n’eurent heureusement pas à patienter bien longtemps avant de voir débarquer sur les supports de salon une cohorte de jeux d’action en vue subjective plus ou moins réussis. Question RTS, leur attente n’a toujours pas pris fin, et ce dix-huit ans après la sortie de Dune II : La Bataille d’Arakis sur DOS. Les tentatives n’ont pourtant pas manqué ! Citons, parmi beaucoup d’autres, ce même Dune II, paru en 1993 sur Megadrive, Command & Conquer, qui tenta sa chance sur Saturn en 1996, Starcraft, débarqué sur N64 en 2000, Age of Empires II, qui tenta de conquérir la PS2 l’année suivante, Goblin Commander, conçu pour les supports à manette en 2004, tout comme Tom Clancy's Endwar en 2008, Stormrise et Halo Wars l’année dernière. Beaucoup d’essais, pour des résultats souvent catastrophiques, parfois médiocres, rarement bons, jamais éblouissants. Alors forcément, quand Julien Elma, assistant chef de projet chez Eugen Systems, nous a déclaré le mois dernier que son projet à lui possédait toutes les qualités pour changer la donne, nous étions à la fois optimistes, parce que le talent du studio parisien est indéniable, et dubitatifs, parce que les auteurs de tous les titres précédemment cités ont tenu, en leur temps et au mot près, les même propos. En développement depuis trois ans, compatible avec certaines technologies novatrices (PS Move notamment), disponible sur PC, PS3 et X360 mais doté d’une ergonomie calibrée pour ces deux derniers supports, R.U.S.E. semblait effectivement capable d’accomplir l’impensable : rendre le RTS jouable sans clavier ni souris. Pour en avoir le cœur net, nous ne parlerons donc ici que des seules versions de salon (test effectué sur 360 et PS3), et évacuerons la question du PC en invitant les amateurs, certes toujours très occupés par Starcraft II, à installer sur leur disque dur ce produit de belle qualité, franchement rythmé et dans lequel le micro-management se résume à faire 3 recherches et à planquer des hommes dans les bois (et à y jouer avec un clavier et une souris).
Rush for Berlin
Nous ne nous attarderons pas plus sur le synopsis d’un titre qui plonge les fins stratèges dans le bain trop connu de la Seconde Guerre Mondiale. Des terres ocres tunisiennes à l’éprouvant rush vers Berlin, du Débarquement normand au savant crochetage du verrou du Mont Cassin, les champs de bataille du jour ont déjà été mille fois arpentés. Et si le déroulement des événements prend quelques libertés avec la réalité historique, c’est pour mieux servir une intrigue en forme de partie d’échecs entre généraux fictifs finauds. Chacun, à commencer par le votre, officier américain aux dents longues, tentera de jouer au mieux ses coups dans la course à la victoire, quitte à multiplier les coups de bluff. Graphiquement proche du jeu de plateau, RUSE vous invite à composer au-dessus de vastes cartes d’état-major, sur lesquelles les unités apparaissent sous forme de piles de jetons. Vous pouvez certes changer de perspective, zoomer comme bon vous semble, coller la caméra au plus petit buisson, bref, choisir l’angle qui vous convient le mieux pour triompher, mais le sentiment de jouer à un RISK animé ne vous lâchera pas. Tout comme dans le célèbre jeu de plateau, vous connaissez, grossièrement, les forces de votre adversaire, leur position et vous le voyez même les déplacer. A moins d’être en contact direct, vous ignorez toutefois la composition exacte de ses groupes et devez vous contenter d’indicateurs symboliques : les jetons de petite taille représentent l’infanterie et les unités légères, les plus grands indiquent la présence d’artillerie lourde et/ou de blindés. Pas de brouillard de guerre ici et, à première vue, R.U.S.E. semble vous livrer toutes les indications nécessaires pour contrer un assaut quel qu’il soit. Les développeurs français ont toutefois conçu leur jeu autour d’un ingénieux système de manipulation de l’information, qui permet aux différents protagonistes de faire mentir l’affichage. Pour se faire, vous disposez de cartes de RUSE, sorte d’atouts utilisables ponctuellement mais plusieurs fois par partie, voire simultanément, qui vous octroient des bonus rigolos.
Vous pouvez changer de perspective, zoomer comme bon vous semble, coller la caméra au plus petit buisson, bref, choisir l’angle qui vous convient le mieux pour triompher, mais le sentiment de jouer à un RISK animé ne vous lâchera pas."
Le silence radio vous permet de masquer temporairement les déplacements de vos unités, l’adversaire ne découvrant votre bataillon de tanks Sherman que lorsque vous commencez à ravager sa base ; l’espionnage lève très brièvement le silence radio ; la fausse offensive affiche sur la carte de l’adversaire une belle brochette d’unités (fantoches) en pleine bourre, etc. L’idée est futée et le système fonctionne bien, particulièrement en multi quand chacun tente d’imposer sa désinformation à l’autre, que les chassés-croisés délirants s’enchaînent et que les guet-apens se multiplient. Vous pouvez en effet exploiter les spécificités de l’environnement pour piéger l’ennemi, avec ce que cela implique de bonus offensifs. L’essentiel des 23 missions se déroulant en Europe, les cartes ne manquent ni de petites bourgades charmantes, dans les rues desquelles vous planquerez quelques paras qui tiendront en échec des armadas de Panzers, ni de bois, où vous sèmerez des éclaireurs chargés de surveiller les mouvements adverses. Ces guetteurs permettront notamment à votre artillerie lourde de pilonner efficacement les colonnes bosches avant qu’elles n’atteignent vos lignes de défense. Doté d’une IA plutôt robuste, qui vous forcera à gérer au mieux les maigres ressources dont vous disposerez (à récupérer en construisant des centres de ravitaillement à la durée de vie fort brève) et à choisir soigneusement les troupes à entraîner dans vos bâtiments (de la DCA au Spitfire en passant par des prototypes classieux), R.U.S.E. offre un challenge de bon niveau. Loin de se contenter de piller bêtement les bonnes idées développées dans les cinquante millions de RTS parus depuis près de vingt ans, Eugen Systems s’est donc appliqué à concevoir un titre complet, réfléchi, prenant et enlevé. La stratégie aurait pu s’avérer payante, si un petit objet ne s’était pas glissé entre deux rouages de cette belle mécanique : une manette.
RUSE reste un jeu conçu par des PCistes pour des PCistes, dans lequel la meilleure défense, c’est l’attaque raffinée, avec encerclements, prise à revers, échauffourées et pressing continu de l’IA."
