Le Test
Sorti un peu de nulle part dans un planning de Capcom bien chargé au détour d'un E3, Dragon's Dogma rappelait un peu les productions underground de l'éditeur sur PlayStation 2, dans le genre Chaos Legion ou Haunting Ground. Des projets pas foncièrement surprenants dans leur style ou leurs inspirations évidentes, mais qui possédaient une véritable identité, des mécanismes qui en faisaient des sortes de laboratoires d'idées. Un sous-catalogue, sans rien de péjoratif, auquel appartient Dragon's Dogma. Jeu d'action avec des restes de RPG, il a débuté sa carrière en promesses. Promesses d'un système de combat dynamique, d'un monde ouvert et surtout de bonnes grosses batailles contre un bestiaire qui traverse les mythologies, à base de dragons, chimères, cyclopes, et griffons. Si de ce côté, le cahier des charges est plus que tenu à la ligne, il reste quand même pas mal de pages, justement trop vite griffonnées. Pour quelles raisons ? Réponse dans notre test de Dragon's Dogma.

Projet un peu fourre-tout de Capcom, Dragon's Dogma est difficilement comparable avec un seul type de jeu, même s'il est évident que l'éditeur japonais cherche à titiller les habitudes du RPG occidental, à la fois au niveau de l'univers med-fantasy et de la progression empirique. Sans jamais verser totalement dans une sorte de déclinaison japonaise d'un Elder Scrolls ou d'un Gothic, Dragon's Dogma est bien davantage un megamix des productions Capcom caché sous les habits un peu amples d'un Action-RPG. Dans cette carcasse bien en chair, se retrouvent en bonne entente beaucoup de Monster Hunter, un peu de Devil May Cry et un chouïa de Resident Evil. Le tout mélangé à un peu de Dark Souls-de-chez-Namco-en-face. Des inspirations de choix qui forment une base sur laquelle peut s'élever le jeu, débutant d'ailleurs directement dans le feu de l'action avec une vision immédiate d'un programme a priori alléchant. Parachutant le joueur aux commandes d'un héros sans passé mais armé d'une épée, le prologue de Dragon's Dogma introduit les principales possibilités du gameplay avant de se conclure sur une discussion animée avec une chimère. Un combat nerveux, bien mis en scène et jouissif qui donne l'envie, pas forcément simple à déclencher, d'en voir plus. S'il faut pour cela prendre le temps de créer son avatar avec l'outil puissant concocté par Capcom, le vrai début de la quête conserve cet élan par le biais d'un petit one-shot asséné par un dragon au bout de quelques minutes de découverte. C'est à peine remis de cette humiliation que la première mission se déclenche, amenant le titre à s'ouvrir et à dévoiler cette sensation de découverte qui va très largement soutenir la première partie du jeu. Pour le coup à l'image d'un Skyrim, c'est la construction de l'environnement qui pousse à ne pas suivre le chemin balisé, mais à continuer sur cette petite route qui s'enfonce entre deux collines. Un signe de la main de l'immersion auquel le joueur adhère sans mal grâce à un level-design logique, sans jamais donner l'impression de forcer la progression dans un sens ou l'autre. Un paysage constellé de grottes, cachettes et surplombs qui sont autant de lieux où se faire littéralement maraver.
T'as pas cyclope ?

Le contexte social est très simple dans Dragon's Dogma. Tout le monde, créatures et humains, vous déteste hors des murs des citadelles. L'exploration ne peut se faire qu'au prix du sang, et chaque mètre de terrain entre deux points de ralliement doit se gagner âprement. Une tâche qui implique donc de se composer une équipe, formée de Pions. Guerriers à louer, ces derniers peuvent être soit rencontrés librement dans les villes et les champs, soit invoqués via une pierre spéciale. Dans ce cas précis, le joueur rentre dans une dimension étrange où gravitent quelques uns de ces combattants. Le principal avantage est qu'il est alors possible d'effectuer une recherche par caractéristiques afin de se créer un groupe polyvalent. Une étape qui reviendra très régulièrement ; les Pions ne gagnant jamais d'expérience. Seuls le joueur et son Pion principal, customisable de la même manière que le héros et disponible après quelques heures de jeu, connaissent une évolution. Un choix étrange qui oblige à échanger presque toutes les heures les membres de son escouade, ce qui n'aide pas à développer une logique de groupe, pourtant présente de manière embryonnaire. Le principe de recruter de nouvelles têtes en fonction de ses besoins n'est pas une mauvaise idée, mais le côté systématique rend cet élément de gameplay plus pénible que stratégique. Surtout mis en relation avec le fait que la majeure partie des monstres du jeu est sensible grosso-modo au même sort et que les compétences des guerriers par exemple, ne s'avèrent pas assez dissemblables pour légitimer tel ou tel choix entre deux candidats. La faute en partie à un système de 9 classes peu développé qui favorise très vite les cross-over du genre Assassin ou Archer-Mage. Les jobs de base n'amenant pas suffisamment de bonus intéressants pour légitimer leur apprentissage complet. Une limitation d'ailleurs faiblard qui tranche avec le système bien plus riche en variations de Reckoning. Se balader avec un mage/sorcier adepte du feu, un "soigneur" et un guerrier suffit dans la plupart des cas en étant bien préparé. Cela n'empêche pas d'enchaîner les Game Over, mais un peu moins rapprochés.
Sans être aussi pervers qu'un Demon's Souls, Dragon's Dogma a tout de même son mot à dire, et les ennemis infligent de lourds dégâts, notamment grâce à des coups critiques qui réduisent parfois la barre de vie de 70%. Bien évidemment, potions, herbes et sorts de soin redonnent le moral, mais les points de vie maximum diminuent à chaque gosse attaque, empêchant de récupérer entièrement sa santé. La seule manière de se remettre en état étant de se rendre dans une auberge, soit à pied – et donc mourir – soit via une très coûteuse pierre de téléportation. A la manière d'un Final Fantasy XII, monstres surpuissants côtoient gobelins et harpies et il est courant de devoir passer de longues minutes sur un cyclope en goguette entre deux massacres de voleurs. Un sens de la surprise taquin qui donne à Dragon's Dogma un côté hardcore stimulant, sans être injuste. Il participe également à enrober les affrontements contre les monstres les plus imposants d'un vrai stress épique et en fait, de manière logique, la grosse force du jeu.
Un Pion trop loin
L'interaction en combat est l'une des principales sources du plaisir de jeu dans Dragon's Dogma, avec la possibilité de collaborer pour parvenir à maîtriser un adversaire. Plaquer une harpie au sol, immobiliser un guerrier, se servir d'un bouclier pour être projeté en hauteur, grimper sur un griffon en plein décollage, autant d'actions qui insufflent une force dans les affrontements. Et ce même si l'héritage Monster Hunter transpire de chacune de ces passes d'armes, au niveau des collisions en particulier, très imprécises et donnant parfois le sentiment de taper comme un forcené dans une motte de beurre. Pourtant, risqués et intenses, les combats sont, avec l'exploration, le moteur de la progression. Tout en signalant que le monde proposé n'atteint pas des dimensions exceptionnelles et que les allers-retours vers des lieux déjà visités, simplement plus ouverts, représentent une grande part des voyages. Une longue marche loin d'être visuellement désagréable avec des panoramas larges et un joli travail sur la lumière, mais qui souffre de deux grands maux, la faiblesse technique et les Pions. Si le premier aboutit à des ralentissements récurrents et à un vilain tearing malgré l'absence quasi totale de faune amicale, le second montre lui les limites de vouloir éviter la coopération entre être humains. Efficaces quand il s'agit de relever un de leurs compagnons ou de distribuer des claques, les Pions sont à la rue dès que la situation évolue. Fuir est un calvaire, ces derniers restant sur place à se faire massacrer, et espérer qu'ils utilisent intelligemment les items que vous leur confiez est une belle erreur. Sans être des boulets, ils peuvent sans problème mettre le joueur en mauvaise posture. Leur plus grand intérêt restant finalement de pouvoir être emprunté par d'autres aventuriers une fois connecté, puis de revenir vers vous dès votre arrivée à l'auberge afin de vous faire bénéficier de leur expérience et d'objets.
Pétri de bonnes intentions et conservant la philosophie de Monster Hunter dans l'utilisation intéressante des ressources qui entourent le joueur, Dragon's Dogma est un jeu d'action qui n'existe presque que pour ces moments intenses de combats dantesques. Un mélange un peu bancal qui fonctionne sur ces séquences et qui pousse presque paradoxalement à continuer pour ce plaisir "pur", mais qui manque de maîtrise. Un aspect qui était pourtant la marque de fabrique de Capcom à une époque pas si lointaine.
TEST VIDÉO DRAGON'S DOGMA