Un bien drôle de type, ce Kyle Hyde. Flic à New-York, le beau gosse à l’air désabusé a rendu son insigne après avoir tué un flic passé du côté obscur. Installé à Los Angeles, notre héros traîne désormais son spleen dans une trop rébarbative activité de représentant de commerce. Red Crown, la société qui l’emploie, est heureusement dirigée par Ed, un ancien ami de son défunt père, qui lui confie ponctuellement de très officieuses missions de recherche d’objets disparus et tolère sa fainéantise… du moins jusqu’au jeudi 18 décembre 1980. Ce jour-là, las des disparitions régulières de son salarié tire-au-flanc, Ed renvoie notre blanc-bec à ses études, ou plutôt à son studio défraichi. Libéré de ses rares obligations, Kyle en profite pour zoner dans l’immeuble où il a élu résidence, le Cape West, ancien hôtel dont les chambres ont été reconverties en logements par la propriétaire des lieux, Mme Patrice. De longues heures d’errance qui vont lui permettre d’en apprendre davantage sur ses voisins de palier, flic retraité irascible, veuve pas vraiment éplorée, musicien sans le sou et autres cas sociaux.
The lost art of keeping a secret
Comme par un fait exprès, notre homme reçoit ce même jour un ordre de mission anonyme, qui l’invite à enquêter contre rémunération sur un événement survenu des années auparavant au Cape West. 1955, 1967, les investigations de Kyle vont l’amener à s’intéresser aux heures plus ou moins glorieuses de cette bâtisse qui a vu couler le sang. Un meurtre mystérieux, des vols et des non-dits, Last Window réunit tous les ingrédients de la bonne enquête à l’américaine, pluvieuse et (presque) non-violente. Sauf que la grisaille est ici toute intérieure, la totalité de l’action se déroulant dans l’enceinte de l’ancien hôtel, sans qu’il soit possible d’en sortir si ce n’est le temps de brèves cinématiques. Cette unité de lieu ne s’accompagne pas d’un foisonnement de détails. Nombre de chambres sont condamnées, et vous ne pouvez visiter comme bon vous semble celles qui vous sont théoriquement accessibles. Extrêmement linéaire, la production de CING ne vous laisse pas même libre de choisir l’ordre dans lequel vous accomplissez les actions indispensables. Lorsque vous vous trouvez dans une pièce et que l’aventure exige que vous y ramassiez tel objet, vous ne pourrez en sortir tant que vous n’aurez pas mené cette action à bien. Le parti-pris n’est pas totalement condamnable.
Un meurtre mystérieux, des vols et des non-dits, Last Window : Le Secret de Cape West réunit tous les ingrédients de la bonne enquête à l’américaine, pluvieuse et (presque) non-violente."
Conçu comme un véritable roman interactif – la console doit être tenue à la verticale et toutes vos actions sont consignées par écrit dans un véritable bouquin virtuel – Last Window : Le Secret de Cape West ne pouvait être que dirigiste. Un semblant de liberté d’action aurait toutefois été appréciable, d’autant que les missions de Kyle ne sont pas toutes passionnantes. Entre la chasse à la petite monnaie dans son appartement ou la vente d’articles à 3 $ l’unité à ses chers voisins, vous ne serez pas étouffé par les bouffées d’adrénaline. Cette absence d’enjeux majeurs permet à CING de poser son jeu et ses personnages, de prendre le temps de présenter les motivations, les grandes faiblesses et les petites forces de chacun, notamment par le biais de dialogues innombrables. L’usage vertical de la machine, qui autorise un affichage face à face de votre héros et de son interlocuteur, met en valeur ces conversations. Chacun apparaît sous la forme d’un crayonné animé dont on admirera la finesse à défaut d’apprécier le style, et se livre au cours d’innombrables dialogues très partiellement interactifs (Kyle peut parfois rebondir sur l’une des réponses de son compagnon de parlotte). Dans un monde idéal, la place occupée par la narration aurait contraint CING à soigner son scénario et l’atmosphère de son titre. Sur ce dernier point, l’ultime production des Nippons ne manque pas de cachet, avec ses environnements poussiéreux mais guère inquiétants et son ambiance de fin d’époque. Hélas, tout ceci est terriblement lent et la trame n’enthousiasmera pas grand-monde. Malgré les innombrables révélations de cet épisode – tant sur le passé de cette drôle de résidence que sur les drames familiaux de Kyle et de ses voisins – Last Window ne parvient jamais à trouver son rythme, vous perd dans d’insupportables allers-retours dans la bâtisse mourante, en vous imposant au passage le récit des états d’âme de PNJ plus caricaturaux que complexes. Les phases de déplacement ne présentent guère d’intérêt – on se balade au stylet sur une grossière carte des lieux tandis qu’une ignoble représentation 3D de l’environnement apparaît sur le second écran – pas plus que les séquences de recherche et d’exploration. A drôle de type, drôle d’aventure et le spleen de Kyle Hyde est bien à sa place dans ce jeu grisâtre, mou et morose. Bonjour tristesse !