Locataire du cercle fermé des titres régulièrement utilisés comme bouclier lors des fameuses déclarations sur la dangerosité/imbécilité/simplicité/et autres adjectifs en "é" du jeu vidéo, ICO tire ce statut de sa différence flagrante avec les rouages habituels de la production. Durant la conception du jeu, Ueda et son équipe ont choisi d'aller au plus simple afin que rien ne parasite la transmission au joueur des émotions entre le jeune héros cornu et Yorda, jeune fille famélique et lumineuse, dans leur fuite d'un gigantesque fort. Un choix qui se justifie au bout de seulement quelques minutes avec la mise en place d'un élément d'une rare intelligence qui va fonctionner sur l'ensemble du jeu : la présence d'une caméra dynamique favorisant selon les situations le gigantisme et l'intime. Chaque pièce traversée déshumanise le couple de personnages avec une focalisation sur la hauteur, la largeur ou la profondeur via une sorte de point fixe qui n'est que rarement Ico. La structure de l'immense donjon pèse donc sans cesse sur l'écran et conduit à un repli sur le seul élément chaleureux et inoffensif, Yorda. Une volonté de la placer au centre des préoccupations du joueur qui amène ladite caméra à la suivre de manière très serrée dès qu'elle se fait enlever par les ombres, faisant même oublier les dangers et les hautes murailles alentours. Un aller-retour constant qui fait comprendre immédiatement au joueur l'importance de Yorda mais également celle de l'environnement, sans avoir besoin de tout expliquer avec un tutorial tout sauf immersif. Une liberté certaine laissée au joueur, qui n'est, contrairement à Yorda, jamais pris par la main. Une découverte très pure du gameplay qui s'accompagne idéalement d'un level-design ingénieux à base d'énigmes jamais très complexes, mais suffisamment motivantes pour progresser par petites touches sans ressentir d'ennui. Un langage ludique qui passe directement par le game-design, tout comme Shadow of the Colossus.
Prologue to the Ancient Land
Très différent d'ICO dans son concept et ses rouages, Shadow of the Colossus repose sur le même travail de mise en avant du game-design. Socle de la narration, ce dernier sert une nouvelle fois à communiquer en droite ligne avec le joueur. Sans plus d'indications directes que dans ICO, à part quelques conseils tactiques lors des affrontements contre les colosses, le jeu de Ueda se découvre de manière empirique. Il est très possible de se débrouiller avec les actions de base, mais de nombreuses animations secondaires viennent se greffer à ces dernières. Une volonté de rétribuer le joueur qui fouille dans les entrailles d'un jeu qui appelle de toute façon à l'exploration. La première rencontre avec un colosse est à ce titre la plus marquante. Il est nécessaire de tout apprendre sur le tas, devant un rocher mouvant de plusieurs dizaines de mètres. Sorte de niveau vivant, les colosses demandent une observation qui va de paire avec ce système de jeu qui demande de s'adapter sans cesse. Si certains types de créature se répètent, tant dans leur design que dans les bases de leur comportement, le mélange entre une sorte de fascination et une vraie dimension épique permet d'évacuer une bonne partie d'une possible latitude. Les allers-retours entre le Temple principal et les différentes régions abritant les colosses peuvent également se révéler très mécanique et laisser des joueurs sur le bord du chemin. Une composition finalement très "jeu vidéo", quasiment arcade, qui montre néanmoins ce que peut-être le langage vidéoludique. Plutôt que d'asséner des QTE pour mettre en place un scénario sans vraiment de gameplay, Shadow of the Colossus utilise le gameplay pour raconter une histoire. Les moments les plus importants sont entièrement confiés au joueur qui ne se contente pas de regarder les évènements ou d'appuyer sur un gros bouton qui apparaît à l'écran. Une démarche très intéressante et intégrée avec habileté qui reste encore aujourd'hui l'une des pionnières dans ce domaine. Respectivement 9 et 5 ans après leur sortie européenne sur PlayStation 2, ICO et Shadow of the Colossus n'ont aucunement vieilli et conservent leur différence, malgré des suiveurs plus léchés et plus importants financièrement parlant.
Respectivement 9 et 5 ans après leur sortie européenne sur PlayStation 2, ICO et Shadow of the Colossus n'ont aucunement vieilli et conservent leur différence..."
Ces deux remake HD pris en main par BluePoint Games sont donc légitimes d'un point de vue technique, même s'ils partent évidemment d'une logique commerciale. En effet, une bonne partie des joueurs actuels ne possèdent pas de PlayStation 2, et avec la démocratisation des écrans HD, les jeux de l'époque souffrent de la transition. Une adaptation aux standards actuels – résolution, lissage, diminution radicale de l'aliasing – appréciable donc, notamment dans le cas de Shadow of the Colossus qui y gagne une grande fluidité. Un confort de jeu qui n'empêche pas encore des apparitions de textures tardives qui font très tâche dans le cadre d'une déclinaison HD. Le changement opéré sur ICO est lui moins flagrant avec simplement des éléments plus propres et la disparition d'un certain flou. S'il est loin d'être parfait et peut se voir comme un gros upscaling , ce ICO and Shadow of the Colossus Collection permet néanmoins d'admirer des animations encore aujourd'hui d'une grande richesse et surtout une direction artistique admirable. Une vision inspirée de mondes délaissés qui a l'occasion de toucher un nouveau public malgré les années. ICO et Shadow of the Colossus ont été dès leur sortie des titres polémiques, mais si des défauts sont bel et bien présents, ces deux titres font partie des jeux qui marquent par une approche unique et un souci du détail quasi pathologique. Une fable douce et macabre associée à une odyssée romantique. Lorsque deux extrêmes se rencontrent, la sublimation n'est pas loin.