Dans le Japon fictif de Yakuza 3, l'orphelinat Asagao est un peu à l'image de la pension des Mimosas : tout le monde y est heureux, même si quelques fois le ciel n'est pas toujours bleu. Situé dans l’archipel subtropical d’Okinawa, l’établissement est effectivement la cible d’un vaste conflit, impliquant politiciens véreux et réseaux mafieux. Forcément. Entre le projet d’extension des bases militaires américaines (sujet on ne peut plus actuel comme en témoignent les soucis rencontrés par Yukio Hatoyama, le premier ministre japonais, dans la vraie vie) et celui de la construction d’une station balnéaire, les têtes pensantes de la société ne manquent pas d’idées pour révolutionner ce petit lopin de terre qu’occupe le plus honnêtement du monde Kazuma Kiryû. Fervent pourfendeur de l’injustice dans tous ses états, notre héros au grand cœur va tout faire pour tenter de démêler les fils de ce gros bordel, ce qui passe naturellement par un retour dans la capitale nippone, et plus particulièrement au quartier fictif de Kamurochô. La série phare de Toshihiro Nagoshi a ceci de pratique qu’elle ne nous oblige pas à rentrer dans les détails. Bien trop complexe, le système tentaculaire mafieux japonais dépeint ici deviendrait vite un casse-tête pour qui n’est pas familier du background soigneusement posé depuis deux épisodes déjà. Heureusement la possibilité de s’administrer de grosses piqûres de rappel des évènements passés est offerte aux néophytes dès l’écran titre et chaque point de sauvegarde.
Bâtards sensibles
Etant responsable de neuf enfants, Kiryû ne peut plus s’amuser à écumer les bars qui l’entourent pour goûter à ce fameux 30 ans d’âge qui lui coûte à chaque fois un rein. Homme d’intérieur relativement accompli, pédagogue affirmé, il est désormais soumis à la dure réalité de la “vie de famille”, et doit en conséquence gérer tout un tas de petits tracas au jour le jour. Son petit intello qui se fait brutaliser à l’école, la disparition de l’argent de poche d’unetelle, l’adoption d’un chiot craintif et récalcitrant pour satisfaire une autre, sont autant d’actes qui nous permettent de saisir les nouvelles responsabilités du bonhomme. On apprécie sincèrement la démarche, d’autant qu’elle s’inscrit d’une certaine manière dans l’esprit de la saga, mais on ne peut s’empêcher de penser que SEGA n’aurait pas dû la rendre systématiquement obligatoire en la liant à la quête principale. Faire d’innombrables allers-retours n’est pas une nouveauté dans la série. Mais la différence est qu’on était auparavant libre d’aider ou non son prochain. Le rythme des débats en prend forcément un sacré coup. Ajoutez à cela que l’intensité dramatique est moindre par rapport au passé, et vous comprendrez bien vite que Yakuza 3 ne répond pas à toutes les espérances. Dommage, car le passage à la PlayStation 3 nous permet maintenant de profiter d’une mise en scène vraiment admirable, soutenue qui plus est par un travail d’acteurs de haut vol. Trop soumis à des allées et venues scriptées jusqu’à la moelle, Yakuza 3 peine à nous immerger son ambiance fantastique. Du coup, on est franchement moins enclin à flâner dans les rues pour déverrouiller tous les coin lockers, aider le salary man dépressif, ou le pauvre musicien de rue qui tente de gagner sa croûte. Et ce n’est pas faute des développeurs d’avoir égayer les à-côtés dont on raffole. L’apparition d’un véritable parcours de golf, d’un shoot à la salle d’arcade, de billard, de fléchettes et même de karaoké (dont le gameplay est similaire à PaRappa The Rapper) sont là pour nous le rappeler. On aurait aimé que ce soit le succulent "No. 1 Cabajô o Tsukurô!" (quête annexe dans laquelle on doit pimper des hôtesses pour qu’elles soient au top de leur profession) ou les sept cagoles de l’écurie Ageha modélisées pour les besoins du jeu qui le fasse, mais malheureusement le processus de localisation leur a été fatal ; au même titre que le jeu de quiz "Answer X Answer", d’ailleurs.
Gangster d’amour
Claustrophobiques et denses qu’ils étaient jusqu’à présent, les environnements de la série s’offrent une véritable bouffée d’oxygène grâce à la délocalisation d’une partie de l’intrigue à Okinawa. Davantage aérées, les rues s’ouvrent à la circulation, tandis que l’architecture nous fait profiter de la douceur du Soleil. D’une certaine manière, l’apparition de la full 3D et d’une caméra libre offre le même sentiment à Kamurochô, quartier emblématique de la série que l’on visite pour la troisième fois mais qu’on a l’impression de redécouvrir. Plus généralement, c’est d’ailleurs tout l’aspect technique daté, même sur PS2, qui collait à la peau de Yakuza qui a subi une salvatrice cure de jouvence. Certes on trouve clairement mieux, mais dire de la réalisation de Yakuza 3 qu'elle est inégale ou que l'animation de Kiryû est rigide revêt une saveur vraiment particulière à l'heure où Heavy Rain ne fait pas mieux de son côté. On ne va pas vous mentir, ça manque parfois réellement de détails par-ci par-là, ça ne bouge pas toujours très naturellement, mais la qualité des faciès et de leurs expressions jouent dans la même cour que la dernière production de Quantic Dream, voire évoluent un cran au-dessus. Il n’y a qu’à voir le regard triste de Saki et certaines cut-scenes fortes en émotion pour s’en convaincre.
[...] le passage à la PlayStation 3 nous permet maintenant de profiter d’une mise en scène vraiment admirable, soutenue qui plus est par un travail d’acteurs de haut vol."
Toujours aussi efficace, le gameplay de la série revient ici enrichi de quelques nouveautés qui parleront surtout aux fans. On notera par exemple la possibilité de s’équiper simultanément de plusieurs armes – pour des changements à la volée –, des finish moves face aux boss plus nombreux, l’ajout du nunchaku dans l’arsenal potentiel de notre gangster, ou encore l’apparition de phases de poursuite – aussi bien dans le rôle du chasseur que dans celui du chassé. Rien de spécialement folichon donc, juste un enrichissement des rouages déjà fort bien huilés que nous connaissons. A ce titre, les amateurs seront ravis de retrouver la brutalité des scènes de combats, où l’incroyable puissance des impacts donne une saveur toute particulière à chacun de nos heat moves, ces coups réalisables uniquement lorsqu’une jauge spécifique est remplie. Toujours aussi inventifs – bien que très souvent repris des précédents épisodes – et abondant, ils font franchement honneur à l’esprit de la série. Debout, à terre, contre un mur, un poteau, une rambarde, en chope, à mains nues, armé d’un katana, voire d’un sofa, les possibilités sont multiples. Alors pour qui prend bien le soin d’améliorer les compétences de Kiryû pour dénicher de nouvelles techniques, c’est à une palette de coups on ne peut plus riche qui s’ouvre. Pour ceux qui veulent rendre l’apprentissage de techniques plus ludiques, il est à noter que Yakuza 3 reprend le système d’Inspirations de Yakuza Kenzan (le fameux spin-off au temps des samouraïs inédit chez nous). Pour faire court, il s’agit de repérer en vue subjective certains évènements (une lycéenne qui se fait agresser, un gamin capricieux qui tire son paternel dans une boutique…), puis de les immortaliser à l’aide de notre téléphone mobile afin que Kazuma soit pris d’une soudaine illumination. Une petite parenthèse de bloggueur (véridique !) plus tard, et le voilà plus aguerri pour se frotter à la racaille. Ca peut paraître bête, mais c’est ce genre de petites choses qui font que l’on reste scotcher à Yakuza 3, même après être venu à bout d’une intrigue un poil courte (moins de quinze heures en ligne droite) et décevante.